Muse populaire
Les
Chansons
de métiers
par
Tome premier (partie 3/3)
Paris
Léon Vanier éditeur
19, quai Saint-Michel
1888
D’après Gallica.
Table des matières
PREFACE
LES MOISSONNEURS ♫ bossa nova
LES MÉCANICIENS ♫ reggae
LES PAYSANS ÉMANCIPÉS PAR LA RÉPUBLIQUE ♫ jazz
LE PEINTRE-VITRIER
LE LABOUREUR
LES FONDEURS ♫ jazz
LES CORDONNIERS
LE PLAFONNEUR
LE TISSEUR ♫ tango
LE SEMEUR
LE CHARPENTIER
LES VIGNERONS ♫ salsa
LES BOUCHERS
LE FILEUR ♫ polka
LE COIFFEUR PERRUQUIER
LES VENDANGEURS ♫ folk
LE MENUISIER
LE TYPOGRAPHE
LE BOULANGER ♫ calypso
LE TAILLEUR DE PIERRE
LES PAYSANS DANS LE BON VIEUX TEMPS
L’ÉBÉNISTE
LE CUISINIER ♫ ragtime
LE MAÇON
LE VERRIER
LE JARDINIER ♫ fanfare
LE TAILLEUR
LE SERRURIER ♫ jazz
AUTRE SERRURIER
LE MACHINISME DÉMOCRATIQUE ♫ scottish
LES MINEURS
Air : Le Chant des Ouvriers (P. DUPONT).
(Le chanteur n’est point obligé de chanter tous les couplets qui suivent ; il peut en diminuer le nombre et choisir ceux qui seront de son goût).
Nous, les enfants du Paysan,
Relisons un peu notre histoire.
Tous les rois nous ont dit souvent
Qu’ils nous aimaient. Faut-il les croire ?
Faut-il croire aussi nos curés,
Qui nous assurent dans leur prône
Que nos aïeux les Jeans Guêtres
Étaient les protégés du trône ?
REFRAIN :
Paysans, fils des enterrés
Qu’a tués le monstre gothique,
Crions : Vive la République !
Qui nous a délivrés
Des crocs de l’hydre monarchique !
En lisant l’histoire, je vois
Qu’un Paysan n’était pas homme,
Et que les seigneurs et les rois
En faisaient leur bête de somme.
Comme les ânes, triste sort,
Il portait le bât, la bricole,
Comme eux il était fouaillé fort ;
Comme eux il n’avait pas d’école !
Paysans, etc.
L’histoire dit : L’impôt gourmand,
La dîme, le champart, la taille,
S’abattaient sur le Paysan,
Et le laissaient sans sou ni maille !
Pour faire à leur maître un trésor
Et payer aux moines ripaille,
Les Paysans suaient de l’or,
Puis allaient dormir sur la paille !
Paysans, etc.
L’histoire dit : Des Paysans
L’héritière était la noblesse,
Qui ne laissait à leurs enfants
Que le droit de payer la messe.
Ces enfants, de leur père mort
Ne gardaient que la vieille veste,
Car le noble héritait d’abord,
Et le prêtre prenait le reste !
Paysans, etc.
L’histoire dit : Les Paysans
Ne pouvaient, la chose est notoire,
Sans la permission des grands,
Ni manger, ni dormir, ni boire ;
Il leur fallait l’ordre d’en haut,
Pour mettre le pied dans l’église,
Car, prêtres, de votre troupeau,
C’étaient les galeux qu’on méprise !
Paysans, etc.
L’histoire dit, ô déshonneur !
Qu’avant le jour du mariage,
Nos pères cédaient au seigneur
Des promises le pucelage !
Nous, Paysans, nous n’épousions
De nos maîtres que la maîtresse,
Et les curés, autres larrons,
Chantaient nos cornes à la messe !
Paysans, etc.
L’histoire-dit, et je la crois,
Que pour faire plus grasse chère
Les nobles, ô Christ ! sous ta croix
Vendaient nos aïeux à l’enchère !
Ces Paysans aux lourds sabots
N’avaient dans ce temps misérable,
Que la valeur des bestiaux,
Qu’on vend au boucher dans l’étable !
Paysans, etc.
L’histoire dit : Les Paysans
Ont été la race honnie,
Sur laquelle tous les puissants
Avaient droit de mort et de vie !
Tous ces Paysans, bons chrétiens,
Sont moindres, disaient noble et prêtre,
Que la basse meute de chiens,
Ou que les chèvres qu’ils font paître !
Paysans, etc.
L’histoire dit : Les Paysans
N’avaient ni foyers, ni familles !
Au seigneur étaient nos enfants,
Nos garçons forts, nos grandes filles,
Au seigneur était notre sang,
Nos deniers, nos troupeaux, nos femmes !
Tout était à lui, hors le vent,
Et le prêtre brûlait nos âmes !
Paysans, etc.
On le voit, prêtres blancs et noirs,
Nobles et porte-diadèmes,
Avaient des troupeaux d’abattoirs,
Et ces troupeaux, c’était nous-mêmes !
Ô puissants nés pour nous haïr,
Nous vos serfs, nous étions vos bêtes,
Qui n’existaient que pour souffrir,
Et que pour mourir dans vos fêtes !
Paysans, etc.
— Mais, nobles et prêtres, dit-on,
Sont devenus de bons apôtres —
C’est vrai. Mais, s’ils baissent le ton,
S’ils sont les égaux de nous autres,
C’est grâce à Paris révolté,
Qui sut briser nos vieilles chaînes,
Et qui du vieux monde dompté,
A muselé toutes les haines !
Paysans, etc.
C’est Paris libre, ô Paysans !
Qui nous a fait une famille ;
C’est lui qui nous donna nos champs,
Et nous fit doter notre fille ;
C’est lui qui, détrônant les rois,
Qui nous jouaient à pile ou face,
Nous fit leurs égaux sous les lois,
Et nous fait trôner à leur place !
Paysans, fils des enterrés
Qu’a tués le monstre gothique,
Crions : Vive la République !
Qui nous a délivrés
Des crocs de l’hydre monarchique !
Air : Le Chant des Ouvriers (P. DUPONT).
Quand j’ai mon tablier au flanc,
Et quand j’ai retroussé mes manches,
Moi l’Ébéniste, avec talent,
Je métamorphose les planches.
Je me sens digne d’un laurier,
En taillant de l’arbre la tige ;
Car du vieux chêne ou du noyer,
Je sais tirer plus d’un prodige !
REFRAIN
Dans cent ans, disons-le bien haut,
Les maillets, les rabots, les scies,
Qui font plus belles les patries,
Seront du temps nouveau
Les blasons et les armoiries.
C’est moi qui façonne ici-bas,
Vos couches de rose ou d’ébène,
Où dorment vos nobles appas
Et vos amours, ô châtelaine !
Parbleu ! vous ne vous doutez pas
Que vos grâces déshabillées,
Sans moi grelotteraient, hélas !
Sur les pavés ou les feuillées !
Dans cent ans, etc.
Marquise, en votre préjugé,
Qui rend vos fiertés un- peu folles,
Avez-vous quelquefois songé
Que mes œuvres sont vos idoles !
C’est moi qui taille les coffrets,
A qui quand vos portes sont closes,
Vous confiez vos doux secrets,
Et que baisent vos lèvres roses !
Dans cent ans, etc.
Que d’hommes regorgeant d’écus,
Que de nobles à l’âme ladre,
Seraient obscurs, inaperçus,
Sans mon meuble qui les encadre !
Quand j’unis les bois, les métaux,
Avec l’écaillé, avec l’ivoire,
Riches, tous mes brillants travaux,
Font souvent toute votre gloire !
Dans cent ans, etc.
Comme Boule avec mon rabot,
Je prends place en l’œuvre artistique.
Tirant les styles du tombeau,
Je ressuscite l’historique.
Chantournant galbes et contour,
Mariant les bois exotiques,
Je suis architecte à mon tour,
Et l’artiste des mosaïques.
Dans cent ans, etc.
Boule au talent plein de grandeur,
A légué son intelligence
A tout Ébéniste de cœur,
Qui courtise un peu la science.
On en voit des milliers, ma foi !
Devant qui le grand se découvre,
Et qui plus utiles qu’un roi,
Comme Boule ont leur place au Louvre !
Dans cent ans, etc.
Gloire à l’Ébéniste anobli
Par son travail qui nous enchante !
Gloire à nous qui sur l’établi,
Savons dresser l’œuvre éclatante !
Dressons-nous aussi, nous, front haut,
En buvant à nos espérances,
Au monde nouveau qui, bientôt,
Paîra mieux nos magnificences !
Dans cent ans, disons-le bien haut,
Les maillets, les rabots, les scies,
Qui font plus belles les patries,
Seront du temps nouveau,
Les blasons et les armoiries !
Air : Le Chant des Soldats (P. DUPONT).
Le chanteur n’est point obligé de chanter tous les couplets qui suivent ; il peut en réduire le nombre, et choisir ceux qui seront de son goût.
Une muse ancienne et badine
Dit que tout homme qui bâtit,
Doit commencer par la cuisine,
S’il veut être un homme d’esprit.
La cuisine est vraiment l’église
Dont les autels sont les fourneaux,
D’où monte un encens qui nous grise,
Et qui fait le plus de dévots.
REFRAIN
Cuisine (bis) temple du bien-être,
Je rends hommage à tous tes feux,
Qui font nos mets délicieux !
Je rends hommage encore mieux
Au fervent Cuisinier,
ton prêtre (ter)
Dont le dogme règne en tous lieux.
Le Cuisinier, dans sa cuisine,
Où brille du plus vif éclat
Broche, casserole, bassine,
Vase profond et vase plat,
Fait chaque jour une ample offrande
Au glouton peint par Rabelais,
Il donne au ventre qui commande,
Soir et matin de nouveaux mets.
Cuisine, etc.
Montaigne, un esprit peu bégueule,
Dit qu’on doit un cierge bénit
« A la science de la gueule, »
Qui sait nous donner l’appétit.
En effet, cette humble science
Refait des estomacs blasés,
Et réveille l’indifférence
Des goûts endormis, épuisés.
Cuisine, etc.
Le Cuisinier qui fait renaître
Des bouches les plaisirs passés,
Comme un savant doit bien connaître
Gibiers, volailles, crustacés.
Il sait où le bon lièvre gîte,
Où broute le meilleur agneau,
Où nage l’excellente truite,
Où la poularde a belle peau !
Cuisine, etc.
Balzac affirme que la sauce
Est le grand triomphe du goût.
Ici le Cuisinier se hausse
En mettant la sauce partout.
Avec le suc, le fruit, la plante,
Il donne aux viandes la saveur ;
Il donne l’odeur excitante,
Qui grise la lèvre et le cœur.
Cuisine, etc.
Le Cuisinier pour tous travaille,
Pour jeûneurs et pour mécréants.
Il offre aux sceptiques la caille
Et les harengs saurs aux croyants ;
Il offre un pâté canonique
Aux prêtres, aux évoques peu sots,
Le bouilli maigre au domestique ;
Il donne aux indigents les os !
Cuisine, etc.
Au temps des splendides folies
Des deux Louis et du Régent,
Les Cuisiniers, rois des orgies,
Étaient disputés chez le grand.
Ou s’enlevaient, là, ses maîtresses
Entre évêques, sans se brouiller.
Mais, malheur aux âmes traîtresses,
Qui se volaient un Cuisinier !
Cuisine, etc.
Aux dîners de la Cour en fête,
Le Cuisinier, homme choisi,
Devenait une « grosse tête »
Au Palais-Royal, à Choisy.
Les bons aïeux du roi Philippe,
Dans ce temps de soupers exquis,
« N’avaient de cœur que pour la trippe »
Selon le mot d’un curé gris.
Cuisine, etc.
On vante autant qu’un Charlemagne
Le grand Cuisinier qui soûla
Des cochons avec du Champagne,
Pour que leur chair fit meilleur plat.
Il fit avec les sous des dîmes
Des mets coûtant trois mille francs.
Trois mille francs ! Oeuvres sublimes,
Que pouvaient manger deux gourmands !
Cuisine, etc.
La gourmandise est peu laïque,
Elle prêche et chante au lutrin,
Et sa face est théologique,
Nous a dit Brillât-Savarin.
Dans le riche et vieux monastère,
Le Cuisinier, comme un prélat,
Était exempt de la prière,
S’il inventait un nouveau plat.
Cuisine, etc.
En tous temps le monde superbe
A fait cuisiner sa grandeur.
Pénéloppe épluchait son herbe ;
Achille fut un rôtisseur.
On doit trente sauces exquises
A deux saints qu’on fête aux couvents ;
On doit la poularde aux cerises
A deux Montmorency puissants !
Cuisine, etc.
Parmi ses mille concubines,
Salomon, prophète divin,
Sut s’illustrer dans ses cuisines,
J’en atteste le Livre saint !
Le Sénat romain, dit l’histoire,
Un jour se creusa le cerveau,
Pour y trouver, ce fut sa gloire,
La sauce qu’il faut au turbot !
Cuisine, etc.
Aujourd’hui nos porte-couronnes
Cuisinent, n’ayant plus d’emploi,
Et disent dans leur faims gloutonnes,
Qu’un peuple est un morceau de roi !
Faisant de leurs sceptres des broches,
Et l’œil sur nous, peuple léger,
Ils rêvent, les mains dans leurs poches,
Une sauce pour nous manger!
Cuisine, etc.
Air. La chanson des blés d’or.
Girardin, esprit qui délecte,
Dit que pour bâtir nos maisons,
On peut se passer d’architecte,
Mais non se passer de Maçons.
En effet, sans eux, notre race
Serait condamnée à nicher
Avec les fauves, face à face,
Sous la terre ou dans le rocher.
REFRAIN :
Je chante les Maçons, car sans eux, ô misères !
Sous la pluie ou la neige, on verrait en tous lieux,
Se coucher et dormir, sur les mêmes litières,
Les sages et les fous, les bêtes et les dieux !
Remuant la pierre massée,
Le Maçon brûlé par la chaux,
Sur l’échelle jaune dressée,
Entasse des blocs sur des blocs
Moellons et pierres de taille,
Que dirige le fil à plomb,
Montent, s’élèvent en muraille,
Montent, s’élèvent en maison !
Je chante les Maçons, etc.
De la docte géométrie
Le Maçon sait lire le plan
Et la savante symétrie,
Sans être lui-même un savant.
Sa main habile, au gant de sable,
Dresse pilastre et piédestal,
Assied le pont infléchissable
Et fait planer l’arc triomphal !
Je chante les Maçons, etc.
Suivant dans les airs un génie,
Les Maçons, s’élevant toujours,
Font monter, d’une main hardie,
Vers les cieux les superbes tours.
Jetant les voûtes colossales
Sur les piliers hauts et puissants,
Ils bâtissent les cathédrales,
Cette œuvre immense des géants !
Je chante les Maçons, etc.
Aux cent dieux qui se font la guerre
Le Maçon bâtit des saints lieux,
Sans souci du sacré mystère,
Qui fait s’entre-battre ces dieux.
Il fait aux Juifs la synagogue,
Et la mosquée aux fils d’Allah ;
Aux insulteurs du Décalogue,
Il fait les temples de Bouddha !
Je chante les Maçons, etc.
Les Maçons, que la France appelle,
Elèvent contre l’Allemand,
La formidable citadelle,
Aux cent gueules d’airain tonnant.
On leur doit l’égide de pierre,
Où la France s’abritera ;
On leur doit la muraille altière
Où la Prusse se brisera !
Je chante les Maçons, etc.
Sur la planche d’échafaudage,
Le Maçon comme les héros,
Risque sa vie avec courage,
Comme eux il fait broyer ses os !
Quand adoucira-t-on la plaie
Du soldat blessé qui bâtit,
Avec la pension qu’on paie
A l’autre soldat qui détruit !
Je chante les Maçons, etc.
Devant la demeure princière,
Le palais vaste inhabité,
Le Maçon qui vient de les faire
Et voit les pauvres d’à côté,
Dit, songeant à sa chambre étroite :
Pourquoi, moi, qui fais des châteaux,
Suis-je logé dans une boîte
Avec ma femme et six marmots !
Je chante les Maçons, etc.
Le Maçon dit encore : ô frères !
Au lieu de bâtir pour les dieux,
Qui ne foulent point nos poussières,
Et qui pour domaine ont les cieux,
Bâtissons, nous humanitaires,
Bâtissons sans cesse, ici bas,
Et des maisons et des chaumières,
Pour tous les gueux qui n’en ont pas !
Je chante les Maçons, car sans eux, ô misères !
Sous la pluie ou la neige, on verrait en tous lieux,
Se coucher et dormir, sur les mêmes litières,
Les sages et les fous, les bêtes et les dieux !
Air : Le Marchand de Chansons (BERARD.)
(Le chanteur n’est point obligé de chanter tous les couplets qui suivent ; il peut en réduire le nombre et choisir ceux qui seront de son goût.)
Sachez, marquis, qui vantez votre nom,
Que moi, Verrier, fils d’un Jacques Bonhomme,
Tout comme vous, je suis un gentilhomme :
Des vieux Verriers, je tiens mon vieux blason ! 3
Et ce blason dont je fais peu parade
Est plus sacré que le vôtre, ô marquis,
Qui le tenez de quelque dragonnade !
Le mien qui fut d’un beau talent le prix
Fil plus heureux et plus grand mon pays !
REFRAIN
Allons, vous tous,
Découvrez-vous,
Devant moi le souffleur de verre.
Je fais avec de la poussière
Des diamants, des cristaux et des yeux,
Assez puissants pour voir au fond des deux
Un monde immense et merveilleux !
Fouillant les rocs, les sables et les grès,
J’en fais jaillir une poussière fine,
Qu’un feu captif et farouche calcine
Dans mes fourneaux, où brûlent des forêts.
Là, ce dieu Feu, rouge comme cerise,
Dardant sa langue en fourche en mon creuset,
Mêle aux cailloux changés en cendre grise,
Le sel qui teint — et c’est là mon secret —
La cendre en jaune, en vert, en violet !
Allons, vous tous, etc.
Le feu qui mord ici ma pâle chair
Et s’échevèle en serpents sur ma tête,
Avec des bruits d’éclair et de tempête,
Tout dieu qu’il est est soumis à mon fer. .
Ce dieu qui vient dans l’ardente fournaise
De transformer en cendre des cailloux,
Sous mon ringard, qui l’anime ou l’apaise,
Vient derechef, en calmant son courroux,
Changer la cendre en flots de verres mous.
Allons, vous tous, etc.
Dans mes creusets, le verre est bouillonnant.
Il attend là que mon souffle magique
Vienne pétrir sa forme magnifique,
Avec de l’air ou du rayonnement.
Torse enflambé, j’aborde la chaudière,
Ayant en main un bâton d’enchanteur,
Un bâton creux, où, comme la sorcière,
En l’emplissant d’un souffle créateur,
Je fais un monde en la moite vapeur.
Allons, vous tous, etc.
Dans mes creusets, en redoublant d’ardeur,
Je viens plonger ma canne enchanteresse ;
Puis avec elle, en un geste d’altesse,
Mon bras poursuit son œuvre de charmeur.
En balançant cette canne avec grâce ;
En décrivant de fantasques dessins,
Comme la fée évoquant dans l’espace
Certains esprits, les sylphes, les lutins,
J’appelle à moi d’invisibles essaims.
Allons, vous tous, etc.
J’appelle à moi tous les esprits de l’air ;
Et bouche ardente, en boursouflant ma joue,
Comme un joueur de flûte quand il joue,,
Je souffle, souffle en ma canne de fer ;
Je souffle, souffle !… Au bout de cette canne,
Avec le vent que mes poumons font dieu,
Je donne au verre un éclat diaphane ;
Je fais éclore en vert, en rose, en bleu
Un riche écrin, mille globes de feu !
Allons, vous tous, etc.
Je fais éclore une ample floraison.
Sous les baisers des zéphirs, troupe folle,
Mon verre s’enfle-, il s’évase en corolle,
S’élance en tige ou s’enroule en vrillon.
Je prends ce verre ébauché, je le coule,
Tout chaud encor de son ignition,
Dans la spirale ou dans l’orbe du moule
Qu’a dessinés mon habile crayon,
Avec du rêve et de l’illusion.
Allons, vous tous, etc.
Après le moule artiste et créateur,
Pour embellir ses merveilles encore,
Je prends son œuvre et ma main la décore
D’un pied coquet, d’un manche séducteur.
J’attache au vase une aile, des aigrettes ;
Ma roue agile, en son toupillement,
Lui taille au flanc d’éclatantes facettes,
Ou bien y grave un site, un firmament,
Avec l’acide ou le fin diamant.
Allons, vous tous, etc.
Avec mes doigts, ces instruments de chair,
Avec mon souffle où le verre se fige,
Je fais perler prodige sur prodige,
Dans l’atelier où le dieu Feu me sert.
Là, de mes mains, comme un feu d’artifice,
Tombent en globe, en astre scintillant,
Le gobelet, la coupe, le calice,
Le carafon, le vase éblouissant,
Où le soleil mire son front charmant.
Allons, vous tous, etc.
Là, je pétris cette claire cloison
Qui repoussant, comme le bon génie,
De nos foyers le vent, le froid, la pluie,
Ne laisse entrer chez nous que le rayon.
Là, je pétris le grand lustre, œuvre exquise,
Où les clartés ruissèlent en rubis ;
Là, je pétris la glace de Venise,
L’ample psyché, le miroir d’Adonis
Où nous aimons à nous voir rajeunis,
Allons vous tous, etc.
Là, je pétris le palais de cristal,
Plus merveilleux que le palais d’Urgande,
La riche fée et, dit-on, la plus grande,
Dans les pays d’azur de l’idéal.
Vous me devez, femmes, le diadème
Et les colliers de strass, un diamant,
Qui font que l’homme en vous voyant vous aime.,
Avec plus d’âme et d’ébahissement :
Il voit en vous briller un firmament !
Allons, vous tous, etc.
Vous me devez, savants, dans votre nuit,
L’œil de cristal, l’œil perçant extensible,
Qui vous fait voir tout un monde invisible,
Où se cachait l’infiniment petit.
Vous me devez, après le microscope,
Vous, aveuglés, le verre précieux,
Qui rend la vue au vieillard, au myope,
Et rend meilleurs, ô verre merveilleux !
Les yeux mal faits qu’avaient formés les dieux !
Allons, vous tous, etc.
Vous me devez, astronomes puissants,
Qui n’avez point souci de moi, pauvre hère,
Vous me devez, sachez-le bien, le verre,
Qui fait de vous des esprits si géants.
Sans moi, jamais, des voûtes constellées
Vous n’auriez vu le fond mystérieux.
Je vous ai fait, sublimes Galilées,
Les yeux divins, les yeux prodigieux,
Qui vous font lire au grand livre des cieux !
Allons, vous tous, etc.
Gens de noblesse ou d’épée ou d’autel,
Vous me devez les cristaux de Bohême,
Où vous buvez de nos vins fins la crème,
Et que j’ai faits avec un peu de sel.
Je me distrais, moi, le fils d’une gueuse,
Quand je vous vois, fiers, dorés, étoiles,
Tant caresser d’une lèvre amoureuse
Ces fins cristaux que ma bouche a soufflés
Et que mes mains calleuses ont taillés !
Allons, vous tous, etc.
Pour le Souffleur, cruels sont les destins :
C’est en soufflant que sa chair s’atrophie ;
C’est en soufflant qu’il tue en lui la vie.
A cinquante ans, tous ses jours sont éteints !
A quarante ans déjà la mort le guette,
Et l’avertit que sa vie est au soir ;
Qu’il doit songer à chasser de sa tête
Les rêves d’or, l’amour, le doux espoir,
Ayant un pied déjà dans le trou noir !
Allons, vous tous, etc.
L’humble Verrier, qui de la joie est veuf,
Est un exemple à suivre, ô prolétaire !
Quand tu voudras changer ton sort sur terre,
Toi qui toujours du vieux monde est le bœuf,
Fonds au creuset ce vieux monde en poussière,
Souffle dessus comme en quatre-vingt-neuf ;
Puis, en soufflant, fais en une autre sphère,
Et tu verras sortir de ce gros œuf
Ta part de joie aux mains d’un monde neuf !
Allons, vous tous,
Découvrez-vous
Devant moi, le Souffleur de verre.
Je fais avec de la poussière
Des diamants, des cristaux et des yeux,
Assez puissants pour voir au fond des cieux
Un monde immense et merveilleux !
3 Le Sénat de Venise et les rois de France avaient accordé aux Verriers le droit de noblesse.
Air : Les Sapins (P. DUPONT.)
(Le chanteur n’est point obligé de chanter tous les couplets qui suivent ; il peut en réduire le nombre, et choisir ceux qui seront de son goût.)
Le beau jardin a fait chanter Delille ;
Il inspira le sage Lamennais ;
César l’aimait ; il fit rêver Virgile ;
Le vieil Homère en a peint les attraits.
Puisque l’esprit, le génie et l’auguste,
Ont célébré des jardins les bienfaits,
Je vais chanter, moi, ce sera plus juste,
Le Jardinier, l’humble qui les a faits.
REFRAIN :
Ô prolétaire au dos voûté,
Par qui le jardin est planté,
Par qui la terre est embellie,
J’adore ton génie,
Dans sa simplicité.
Le Jardinier, ami de la nature,
Sait deviner des plantes le secret ;
Il en connaît les mœurs et la figure ;
II sait créer le terrain qui leur plaît
Comme l’amant des fleurs, de La Bruyère,
Son grand amour pour elles est pareil
A la tendresse, aux doux soins d’une mère.
Il leur fait boire à foison du soleil !
Ô prolétaire, etc.
La bêche en mains, il féconde la terre ;
Il l’embellit ; il dessine à son flanc
Le potager, le verger, le parterre,
Et les édens des hommes d’à présent.
Il y construit des rochers, des collines,
Creuse des lacs, des grottes, des ruisseaux,
D’où, sous les feux de l’été, les ondines
Vont abreuver les tendres végétaux.
Ô prolétaire, etc.
Tous ces jardins sont tracés. Il les plante.
Là, dans le parc, les arbres sous sa main,
Se sont dressés par taille décroissante,
Pour simuler un merveilleux lointain.
Là, les sujets nés dans la pépinière,
Et qu’il tira des pépins, des noyaux,
Vont, grâce à lui, pousser dans la lumière
Plus noble tige et plus riches rameaux.
Ô prolétaire, etc.
C’est le printemps. Sous le ciel clair il sème
A la volée, en pochets, en rayons ;
Il sème au sein de la glèbe qu’il aime,
Pois, épinards, cerfeuil, laitue, oignons.
De Flore il vient centupler les familles,
Qu’il a fait naître en serre, en des lits chauds ;
À pleines mains, il prodigue jonquilles,
Glayeuls, œillets, verveines, coquelicots.
Ô prolétaire etc.
Du Jardinier l’art est un grand mystère.
En arrachant une branche à la fleur,
En mutilant au sein la plante mère,
Il embellit l’œuvre du Créateur,
Avec la greffe et les humbles boutures,
Et les semis qu’il sait unir entre eux,
Il donne aux fleurs plus charmantes parures,
Il fait les fruits, plus beaux, plus savoureux.
Ô prolétaire, etc.
Il greffe encor. Sa main métamorphose
La plante infirme et celle qui vieillit ;
Il fait pousser la branche où son doigt pose ;
L’arbre à son gré s’étend, monte et grossit.
Sur sauvageons aux fruits acres, sauvages,
Que la Nature en marâtre a formés,
Il fait éclore, en de nouveaux branchages,
Des fruits plus doux, des fruits plus parfumés.
Ô prolétaire, etc.
Le Jardinier, armé de sa serpette,
Taille en quenouille, en cône, en espalier ;
De chaque plante il refait la toilette,
Dans le grand parc et le jardin fruitier.
Il taille aux murs, il taille en plates-bandes,
Chaque arbre en sève, au grand front alourdi,
Qui délivré de ses branches gourmandes,
A plus de grâce et plus vite grandit.
Ô prolétaire,’ etc.
Il taille, et, de vos branches vagabondes,
Platanes, ifs, cèdres, tilleuls ombreux,
Son sécateur fait des voûtes profondes,
Des rideaux verts, des nids mystérieux.
Il taille encore, et dans vos branches vives,
Il ouvre un site aux aspects variés,
Aux bosquets frais, aux vastes perspectives,
Où vont rêver nos yeux émerveillés.
Ô prolétaire, etc.
Au potager, avec l’eau sa déesse,
Et le soleil, qui d’en haut lui sourit,
En abondance, il fait croître sans cesse.
Les végétaux dont l’homme se nourrit.
Dans ses carrés, ’qu’il encadre d’oseille,
Les pois, les choux, grossissent sous sa main ;
Il en remplit ses paniers, sa corbeille,
Dont chaque bouche aura sa part, demain.
Ô prolétaire, etc.
Dans le jardin splendide où règne Flore,
Sous les baisers du printemps, de l’été,
Il donne aux fleurs que le soleil colore,
Fraîcheur, éclat et robuste santé.
Là, tour à tour, dahlias, chrysanthèmes,
Daphnés, jasmins, lis au suave encens,
Viennent briller sous leurs frais diadèmes.
Le Jardinier fait l’éternel printemps.
Ô prolétaire, etc.
Dans le grand parc, il fait œuvres divines.
Ayant creusé des canaux, des étangs,
Jeté des rocs, élevé des collines,
Taillé dans l’air deux cents arbres géants,
Le Jardinier fait le jardin féerique,
Plus grandiose et plus élyséen,
Que le jardin enchanteur homérique,
D’Alcinous, le roi phéacien.
Ô prolétaire, etc.
Dans le jardin qu’ouvre la botanique,
Le Jardinier offre à tous les savants
Les végétaux et d’Asie et d’Afrique,
Qu’il acclimate en des lits réchauffants.
Avec ces fleurs, avec ces arbres rares,
Dont il refait l’étrangère beauté,
Dans la corbeille immense de nos squares,
Il vient fleurir le sein de la cité.
Ô prolétaire, etc.
Le Jardinier, qui, d’une terre en friche,
Fait des jardins féconds et merveilleux,
Dit à la foule, il dit surtout au riche :
Réjouissez vos bouches et vos yeux !
Moi qui créai ces jardins d’allégresse,
Du vieux lépreux d’Aoste ayant le sort,
Je n’ai qu’un droit, c’est d’en créer sans cesse,
En restant pauvre au sein de ce trésor !
Ô prolétaire, etc.
Le Jardinier dans ses modestes poses,
Multipliant l’estragon bienfaisant,
L’orange douce et les plus belles rases,
La pêche exquise et le chêne géant ;
Le Jardinier, sous le soleil d’automne,
Ayant triplé les fruits d’or que l’on boit.
L’éclat des fleurs, leur parfum, leur couronne,
A droit à plus d’encens qu’un pape-roi !
Ô prolétaire, etc.
En dominant ses fertiles vallées,
Ses ponts, ses eaux, ses arbres, ses gazons,
Son potager, son verger, ses allées,
Son paysage aux charmants horizons,
Le Jardinier, dans ces lieux de délices,
Offrant à tous, comme le Créateur,
D’un riche éden les suaves prémices,
Est, sous le ciel, plus grand qu’un empereur !
Ô prolétaire, etc.
Sans le jardin fameux de Babylone,
Tout oublierait Nabuchodonosor ;
C’est son jardin, qu’on voit mieux que son trône,
Qui de ce roi fait que l’on parle encor !
Ô roi-soleil ! Son grand parc de Versailles,
Qui dans les cœurs cause si doux émoi,
Est aux humains meilleur que tes batailles.
Ton Jardinier fit plus d’heureux que toi !
REFRAIN:
Ô prolétaire au dos voûté,
Par qui le jardin est planté,
Par qui la terre est embellie,
J’adore ton génie,
Dans sa simplicité !
Air. La chanson des blés d’or.
Quand Dieu jeta l’homme sur terre,
Plus nu que le moindre animal,
Un Tailleur, esprit tutélaire,
Du Seigneur répara le mal !
Prenant les riches peaux des bêtes,
Que Dieu vêt mieux que ses enfants,
Il en fit de chaudes toilettes
Aux premiers humains grelottants !
REFRAIN
Tout homme, sous le ciel, n’est vraiment quelque chose
Que quand nous le voulons, nous modestes Tailleurs ;
C’est grâce à nos ciseaux qu’il se métamorphose ;
Il nous doit la beauté, des pouvoirs, des honneurs !
Depuis l’origine de l’homme,
Des modes le Tailleur est roi.
De Pékin, de Paris à Rome,
Son goût fait la suprême loi !
En face de sa fantaisie,
Tous les grands viennent s’incliner,
Sachant bien que c’est son génie,
Qui les classe et les fait trôner I!
Tout homme, etc.
Des mortels corrigeant les formes,
Je fais plus beaux ceux qui .sont laids
J’amincis ceux qui sont énormes,
Et j’engraisse les maigrelets.
Grâce à mes coupe» délicates,
Grâce à mes fers chauds et pointus,
J’arrondis les hanches trop plates,
Et je redresse les bossus !
Tout homme, etc.
Que de chefs au costume rare,
Que de puissants que j’ai dorés,
Sans les habits dont je les pare,
Vivraient parmi nous ignorés !
Que de nobles, face hautaine,
S’ils n’étaient pas par moi vêtus,
Ne seraient qu’une caste naine,
Mise au rang des premiers venus !
Tout homme, etc.
Si quelque ravissante fille
Vous admire, officiers français,
C’est parce que je vous habille :
Vous me devez vos beaux succès !
Si des bonnes, lorgnant la forme,
Lancent des regards amoureux,
N’en doutez pas, c’est l’uniforme,
Qui fait flamber leurs jolis yeux !
Tout homme, etc.
Vous si fiers de porter culotte,
Seriez-vous désirés sans moi ?
Si vers nous vient Rose ou Charlotte,
C’est au pantalon qu’on le doit.
Ce vêtement la rend rêveuse ;
Elle y voit un,., je ne sais quoi,
D’apparence parfois trompeuse,
Mais qui lui cause un doux émoi !
Tout homme, etc.
Vous qui n’aimez pas le despote,
Voyez un bon génie en moi ;
Car si le tyran fait l’ilote,
Moi je fais de l’ilote un roi !
Grâce au riche habit qu’il endosse,
Une foule fort humblement,
L’implore, ou l’admire, ou le hausse :
Il est dieu dans mes vêtements !
Tout homme, etc,
Le Tailleur, de la grande dame
A gagné la haute faveur,
Telle marquise le proclame
Le plus fin confectionneur.
A sa main leste elle se prête ;
Il connaît ses secrets contours ;
C’est lui qui lui met… sa toilette :
Il en fait l’astre des amours !
Tout homme, etc.
En taillant, en cousant la chape
Et l’habit, d’épis d’or brodé,
C’est moi, Tailleur, qui fais le pape.
Tout son éclat nait sous mon dé !
C’est à moi qu’on doit les merveilles,
Qui font d’un sot un enchanteur ;
C’est mon manteau semé d’abeilles,
Qui fait un Cartouche empereur !
Tout homme,etc.
Moi, Tailleur, je me sens énorme,
Devant la Prusse et ses lourdauds,
Quand je façonne l’uniforme,
Qui change un Français en héros !
Ma main fait naître l’âme fière
Et le soldat vaillant et fort,
En cousant la tunique altière,
En la couvrant de galons d’or !
Tout homme, sous le ciel, n’est vraiment quelque chose
Que quand nous le voulons, nous modestes Tailleurs ;
C’est grâce à nos ciseaux qu’il se métamorphose ;
Il nous doit la beauté, des pouvoirs, des honneurs .
Pour le Tailleur, disait Voltaire.
Il faut une religion !
Si ce penseur sortait de terre,
Il changerait d’opinion.
Aujourd’hui le Tailleur, en France,
S’attache à l’esprit élevé ;
Il ne veut pour toute croyance,
Que le Dieu que l’on a prouvé !
Le Tailleur dans la politique
A place entre les plus futés.
A la bien comprendre il s’applique,
Il ne suit que les vérités.
Ce n’est pas lui qu’en route arrête
Le peureux ou le routinier ;
Il va de conquête en conquête,
En marchant toujours le premier!
Air : Madame Angot.
Gloire à ta race vieille
Ô Serrurier adroit !
Car son œuvre, ô merveille !
Se voit chez plus d’un roi.
Le Louvre montre et vante
Tes délicates clefs,
Ta rampe tournoyante,
Tes coffrets ciselés !
REFRAIN
Monte,-monte,
Toi qui domptes
L’acier, le fer et l’airain ;
Tes limailles,
Tes batailles,
Sont celles du dieu Vulcain !
Barre en main, plate ou ronde,
Comme Vulcain, le dieu,
Dans la forge qui gronde.
Tu commandes au feu.
Ce feu, rouge génie,
Agissant à ton gré,
Assouplit et marie
Le fer qu’il a doré.
Monte, monte, etc.
Comme Vulcain encore,
Reins tordus et l’œil fier,
Sur l’enclume sonore,
Ton fer pétrit le fer ;
Tes marteaux en cadence,
Tes outils incrustés,
Donnent forme et puissance
Aux durs métaux domptés.
Monte, monte, etc.
Laissait l’enclume noire,
Pour ouvrir tes étaux,
Dans leur dure mâchoire
Tu polis les métaux.
Là, tarauds, tour, filière,
Limes d’acier mordant,
Transforment la matière
En chef-d’œuvre éclatant.
Monte, monte, etc.
Fermant meubles et portes,
Tu nous rends moins peureux,
Et tes ferrures fortes
Font que nous dormons mieux.
Ta main savante forge
Les secrets coffres-forts,
Les serrures à gorge,
Qui gardent nos trésors.
Monte, monte, etc.
Jadis domptant l’obstacle
Pour mieux émerveiller,
Tu savais, ô miracle !
Sans outils travailler.
Pour façonner l’épée,
La grille, le chenet
Et la Vierge estampée,
Ton marteau suffisait.
Monte, monte, etc.
Je vois une couronne
Au front d’un Serrurier ;
Car, dans l’éclat du trône,
Un roi fit ce métier.
Eloi le saint sublime,
Visage barbouillé,
A manié la lime,
Dans le noir atelier.
Monte, monte, etc.
Les Serruriers, ô frère !
Furent puissants au ciel.
J’en atteste saint Pierre
Et le Père éternel.
Ce sont eux, dit l’Église,
Qui parmi tous choisis,
Ont fait cette œuvre exquise,
Les clefs du Paradis !
Monte, monte,
Toi qui domptes
L’acier, le fer et l’airain,
Tes limailles,
Tes batailles,
Sont celles du dieu Vulcain !
Air : Madame Angot.
Tout le vieux monde vante
Le Serrurier divin,
Dont la main fut savante
Et qu’on nomme Vulcain.
Le Serrurier brave homme,
Lui, qui n’a pas d’autel,
Vaut presque mieux en somme,
Que Vulcain l’immortel !
REFRAIN
Monte, monte,
Toi qui domptes
L’acier, le fer et l’airain,
Tes limailles,
Tes batailles,
Sont celles du dieu Vulcain !
A la forge soufflante,
Sous les dénis de l’étau,
Sur l’enclume chantante,
Et sous l’ardent marteau,
L’humble qui forge et lime
Fait, lui qu’on vante peu,
L’œuvre vaste, qui prime
Celle du dieu du feu !
Monte, monte, etc.
Ô Serrurier de France !
Quand ton marteau bondit
Sur le fer en cadence,
Écoute ce qu’il dit.
Il dit que les patries,
Te donnant un haut rang
Pour tes quincailleries,
T’ont proclamé le Grand !
Monte, monte, etc.
Dans sa chanson sonore,
Se moquant de Vulcain,
Ce marteau qui t’honore
T’élève au surhumain ;
Il dit que tu martèles
Beaucoup plus savamment,
Que les mains immortelles
Du dieu, ton concurrent.
Monte, monte, etc.
Vulcain, qui fit d’Énée
Les glaives merveilleux,
Nous dit, tête étonnée,
Que les tiens valent mieux.
Son âme est fascinée
Par les glaives français
A splendide poignée,
Que tes aïeux ont faits !
Monte, monte, etc.
Vulcain, pour fermetures
Du ciel païen, fondit
De secrètes serrures,
Que Jupiter ouvrit.
Ton coffre incrochetable,
Pour l’homme et pour les dieux,
Est cent fois préférable,
Aux serrures des cieux !
Monte, monte, etc.
Vulcain fit, œuvre immense,
La foudre de Japin ;
Toi tu fais, ô puissance !
Un travail plus divin,
Car, c’est ta main qui noie,
Sous tes flèches de fer,
Ce fléau qui foudroie :
Tu l’enchaînes dans l’air !
Monte, monte, etc.
Vulcain, pour maître ouvrage,
Fit le char d’Apollon,
Qui, brutal, en voyage,
Blessait l’automédon.
Ton char, des dieux plus digne,
Est commode et charmant ;
Ressorts et cols de cygne
Le bercent mollement !
Monte, monte, etc.
Fermant ce parallèle
Ouvert en ta faveur,
Pour finir je rappelle
Que tu fus créateur.
Vulcain qu’un monde adore,
Bien haut dans les rayons,
Confesse qu’il ignore
Tes mille inventions !
Monte, monte, etc.
Devant ta grande adresse
Qui sut l’émerveiller,
Vulcain, fils de déesse,
Renonce à t’égaler.
Car pour te vaincre, ô rage !
Il faudrait remprunter
Le savant outillage,
Que tu sus inventer !
Monte, monte, etc.
Toi qui domptes,
L’acier, le fer et l’airain,
Tes limailles,
Tes batailles,
Sont celles du dieu Vulcain !
Air : Le Noël d’Adam.
Puisqu’aujourd’hui le Credo populaire
Que l’on récite aux champs, à l’atelier,
Est dans ces mots : Au paysan la terre,
Le ciel à tous, l’outil à l’ouvrier !
Ayant la foi, moi, du peuple qui pense,
Avec ce peuple, ici, je chante en chœur :
D’un nouveau monde appelons la naissance !
Amis, crions : Justice au travailleur ! (bis)
En vous voyant entrer, ô multitude !
Là, dans l’usine, un moderne donjon,
Où le collier, d’une autre servitude
Vous lie au joug du seigneur million,
J’ai fait pour vous cet hymne d’espérance,
Qui vous prédit un avenir meilleur !
Peuple debout ! chante la délivrance !
Noël ! Noël ! chantons un rédempteur ! (bis)
« A mon manoir, vilains ne pouvez mordre ! »
Disaient, jadis, les seigneurs arrogants.
Dans son usine, aujourd’hui, l’homme d’ordre.
Redit les mots des maîtres du vieux temps!
Ses ouvriers courbés sous sa puissance,
Saluent en lui leur nouveau grand seigneur !
Peuple debout ! chante ta délivrance !
Noël ! Noël ! chantons un rédempteur ! (bis)
Le possesseur du géant mécanique,
Est tout au chiffre, et, pour lui ce n’est rien
Le peuple dont il fait son domestique,
Il le nourrit, parfois, de pain de chien !
Il prend du ventre, en prêchant l’abstinence ;
Il s’enrichit de la part du jeûneur !
Peuple debout ! chante ta délivrance !
Noël ! Noël ! chantons un rédempteur ! (bis)
Le gros Moteur, tout puissant par sa taille,
Dans son usine, avec son riche allié
Le capital ; un maître sans entraille.
Tond à merci ses troupeaux d’atelier !
Plus poils sont ras, plus croît son exigence !
Mais le destin vient frapper ce tondeur !
Peuple debout ! chante ta délivrance !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur ! (bis)
Le gros Moteur aux mains accapareuses
Sera honni, car il a fait la faim !
Tout nous le dit, masses laborieuses,
Cet affameur disparaîtra demain !
Voyez, là bas, un inventeur s’avance,
Il vient créer l’outil libérateur !
Peuple debout ! chante ta délivrance !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur ! (bis)
Aux gros Moteurs, aux ogres mécaniques,
Cet inventeur viendra substituer
De tout petits outils démocratiques
Qui prendront place au modeste foyer ;
Chaque artisan, même dans l’indigence
Pourra, pour lui, dresser un producteur !
Peuple debout ! chante ta délivrance !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur ! (bis)
Chaque bielle, âme de nos machines,
Qui remplaça les bras de l’ouvrier,
Après avoir enrichi les usines,
Veut aujourd’hui pour les gueux travailler ;
Elle consent, nouvelle providence,
A donner vie au modeste Moteur !
Peuple debout ! chante ta délivrance !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur ! (bis)
L’humble Moteur déjà se multiplie,
On le pressent, cet humble régnera ;
Déjà renaît la petite industrie ;
Chacun pour soi demain travaillera.
L’humble métier fera l’indépendance
Où nous liait le métier grand seigneur !.
Peuple debout ! chante ta délivrance !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur ! (bis)
La vaste usine à haute cheminée,
Dont la fumée obscurcit notre ciel,
Sera demain, par tous abandonnée ;
On fermera le cloître industriel.
Le Moteur monstre, un jour, ô joie immense !
Sera vaincu par le petit Moteur !
Peuple debout ! chante ta délivrance !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur ! (bis)
Le gros Moteur plus humble, errait sur terre,
Viendra servir les travailleurs unis ;
Ses mille bras, dans la ruche ouvrière,
Distribueront leurs produits aux petits.
Tout travailleur sera dans l’abondance ;
Plus beaux seront les fruits de son labeur !
Peuple debout ! chante ta délivrance !
Noël ! Noël ! chante ton rédempteur ! (bis)
Les Mineurs en haillons, sous leur masque de suie,
Où la sueur ruisselle et qu’une manche essuie,
M’émeuvent, moi qui vois mes semblables dans tous !
Je me sens attendri, quand parfois je regarde
Ces héroïques gueux que guette la Camarde,
Entrer comme Daniel dans la fosse aux lions roux !
Et je dis, raisonnant comme le philosophe,
Qui ne veut pas qu’on juge un homme sur l’étoffe,
Venez voir avec moi, sous terre, en leur enfer,
Ces rudes travailleurs, ces martyrs admirables,
Qui pour faire aux heureux encor plus riches tables,
Vont se broyer les os et déchirer leur chair !
La mine fauve ouvrant son puits, gueule profonde,
Est là qui, sourdement, meugle, renâcle, gronde,
Appelant les Mineurs sous ses crocs effrayants.
Comme un monstre affamé, qui sans cesse dévore,
Elle attend qu’on lui jette, avide minotaure,
Des vierges, des époux, des mères, des enfants,.
Tout un peuple répond à ces appels funèbres.
Il vient au bord du puits plonger dans les ténèbres.
Une cage fragile et sinistre le prend.
En suivant l’homme fort, les femmes, fleurs aux têtes,
Viennent aussi, fuyant de la terre les fêtes,
S’offrir en holocauste au labeur dévorant !
Le signal est donné. Soudain, la grappe humaine,
Dans la cage pendue à quelque grêle chaîne,
Comme des damnés tombe au fond du gouffre noir.
Ainsi précipités dans ces régions sombres,
Ces mortels ne sont plus que de vivantes ombres,
Que tourmente et qu’épuise un labeur sans espoir !
Leur tâche, chaque jour, en ces lieux recommence.
C’est le combat sans fin, c’est le combat immense
Contre le géant noir qui sous les coups grandit ;
C’est la lutte de l’homme avec l’âpre nature,
Qui, quoique énorme, aura pour vainqueur, dans la bure,
Elle, la colossale, un héros tout petit.
Mais ce petit est fort étant le téméraire,
Étant la volonté qui marche et persévère,
En face de l’obstacle, en face de la mort.
Et chacun des Mineurs à cet humble est semblable.
Tous forment cette armée hardie et formidable,
Qui des gouffres vaincus ravit le noir trésor.
Voyez ces milices ardentes,
Frappant avec pics et béliers,
Les schistes, hydres menaçantes,
Dont les gueules sont des charniers.
Les bras nus, chaque houilleur fouille
Dans son antre un monstre de houille ;
Là, toujours près d’être écrasé,
Il le fend des coups qu’il assène,
Et se fait un trône d’ébène’
Avec ce monstre terrassé !
Voyez ces mères hors d’haleine,
Aux yeux creux noyés de charbon,
On les attelle à la berline,
Comme un cheval à son fourgon.
Chacune traîne sa charrette,
Les pieds nus, la bouche muette,
Le front de sueur couronné ;
Puis, fait saigner sous la courroie,
Qui la fait gémir et la ploie,
Son sein qu’attend le nouveau-né !
Voyez ces enfants au corps frêle,
Qui gagnent à quatre un écu,
Pour être sous l’énorme grêle
Broyés avant d’avoir vécu !
Regardez ces vierges qu’enterre
Dans leur printemps, un chef sévère,
Dont la voix est un coup de fouet.
S’affublant des hardes de l’homme,
Elles se font bêtes de somme,
Au lieu de cueillir le bluet !
Ces humaines fourmis, ces bouilleurs, pauvres hères,
Sont condamnés, hélas ! à vider les houillères,
Cette mer de charbons insondables et lourds-
Plus damnés que ne fut la triste Danaïde,
Ils remplissent sans cesse un chariot avide,
Qui jamais ne s’arrête et se vide toujours !
Sans cesse ils font cracher aux hydres souterraines,
Au colosse minier dont ils ouvrent les veines,
Escarbille et cailloux et schistes précieux.
Et ces hydres, sentant déchirer leurs entrailles,
Poussent les meuglements des farouches batailles,
Qui faisaient frissonner Thésée, un fils des dieux !
Pourtant chaque Mineur qu’aucun danger n’arrête,
Veut un autre combat, veut une autre conquête,
Pour faire à l’industrie un champ encor plus grand.
Il veut alimenter des fournaises la flamme,
Qui donne à la machine une aile ardente, une âme,
Et féconde l’esprit du creuset bienfaisant.
Mais le colosse couve une immense colère.
Ce combat surhumain, incessant, l’exaspère,
Et dans l’ombre on entend crier : Trois fois, malheur !
L’abîme se remplit d’une fumée épaisse,
Le mur cyclopéen de la fosse s’affaisse.
Mille bruits ténébreux font tressaillir d’horreur !
Dans la nuit affreuse et profonde,
Que vient déchirer l’éclair bleu,
Le hideux grisou rôde et gronde
En brandissant ses dards de feu.
Ses filles, immondes harpies,
Distillent dans les galeries,
Des miasmes empoisonneurs.
La fosse, pleine de tonnerres,
Braque au fond de ses meurtrières,
Des engins exterminateurs !
Soudain, du -haut en bas, la bure
Vole en formidables éclats. ’
Tous les démons de la nature
Se déchaînent avec fracas !
L’inondation, l’incendie,
Comme l’implacable furie,
Poursuivent les Mineurs épars.
Le grisou qui porte la peste,
Et qui veut qu’aucun d’eux ne reste,
Les enserre de toutes parts.
Horreur ! des cerveaux sort la moelle,
Des troncs, les bras sont arrachés ;
Les vivants qu’un bloc écartèle
Par un autre bloc sont hachés.
A côté du rocher qui broie,
Un fleuve d’encre emporte et noie
Ceux qui ne sont pas foudroyés.
Plus loin, les feux de l’incendie
Rongent des chairs encore en vie.
Le mourant meurt dans les brasiers !
Cependant de la mine ouverte sur la terre,
Les schistes, les charbons, cet or de la houillère,
Montent, montent toujours, montent malgré la mort !
Il faut que chariots, il faut que larges bennes,
De ce trésor immense ayant leurs panses pleines,
Fassent au capital un riche coffre-fort.
Ce capital assis au bord du puits vorace,
Qui dévore l’enfant, la pudeur et la grâce.
Et la mère et les fils et les doux fiancés,
Dit au peuple Mineur : « C’est ton sang qui féconde
« La mine qui te brûle et t’écrase et t’inonde,
« C’est bien. Je suis content. Mais, ce n’est pas assez.
« Il faut recommencer ta besogne sanglante,
« Refaire une autre plaie à ta chair pantelante,
« Creuser encor ta fosse, et puis… mourir encor !
« Plus dans le gouffre ardent les guivres souterraines,
« Boiront ta sueur chaude et le sang de tes veines,
« Plus les tiens périront, plus le riche aura d’or !
« Abîmez-vous, Mineurs, dans votre nuit profonde,
« Oubliez le soleil et les biens de ce monde,
» Mangez maigre et vivez presque nus, dans des trous,
« Dans votre enfer, sous terre, où vos femmes pieuses
« Couvrent les saintes d’or et d’étoffes soyeuses,
« La bonne Sainte-Barbe aura pitié de vous !
« Pour vous, n’est-elle pas la puissante patronne,
« Qui des cieux, où depuis l’an trois cent elle trône,
« Protège les Mineurs, en tous lieux, en tous temps ?
« N’est-elle pas la dame et l’ange tutélaires,
« Qui, quand vous la priez d’alléger vos misères,
« Répond : J’y songe, hélas! Depuis… quinze cents ans ! »
FIN DU PREMIER VOLUME
Le Mans — Imprimerie Albert Drouin, 5 rue du Porc-Épic.