Muse populaire
Les
Chansons
de métiers
par
Tome premier (partie 2/3)
Paris
Léon Vanier éditeur
19, quai Saint-Michel
1888
D’après Gallica.
Table des matières
PREFACE
LES MOISSONNEURS ♫ bossa nova
LES MÉCANICIENS ♫ reggae
LES PAYSANS ÉMANCIPÉS PAR LA RÉPUBLIQUE ♫ jazz
LE PEINTRE-VITRIER
LE LABOUREUR
LES FONDEURS ♫ jazz
LES CORDONNIERS
LE PLAFONNEUR
LE TISSEUR ♫ tango
LE SEMEUR
LE CHARPENTIER
LES VIGNERONS ♫ salsa
LES BOUCHERS
LE FILEUR ♫ polka
LE COIFFEUR PERRUQUIER
LES VENDANGEURS ♫ folk
LE MENUISIER
LE TYPOGRAPHE
LE BOULANGER ♫ calypso
LE TAILLEUR DE PIERRE
LES PAYSANS DANS LE BON VIEUX TEMPS
L’ÉBÉNISTE
LE CUISINIER ♫ ragtime
LE MAÇON
LE VERRIER
LE JARDINIER ♫ fanfare
LE TAILLEUR
LE SERRURIER ♫ jazz
AUTRE SERRURIER
LE MACHINISME DÉMOCRATIQUE ♫ scottish
LES MINEURS
Air : Le Noël d’Adam.
Quiconque double une gerbe, ô mon frère !
Est plus utile à l’homme, riche ou gueux,
Que tous les rois qui trônent sur la terre,
Que tous les saints qui trônent dans les cieux.
Chantons donc ceux qui font naître, ô mystère !
Deux cents épis en semant deux cents grains !
CHŒUR
Gloire au Semeur ! qui vient sur notre terre,
Comme Jésus, multiplier les pains ! (bis.)
Le bon Semeur, sous le rouleau de pierre,
Que traîne un bœuf lent,- placide, au pas lourd,
Brise en chemin la motte réfractaire,
Pour préparer un fécondant labour.
A la semence il fait une litière,
D’où vont sortir en masse les bons grains.
CHŒUR
Gloire au Semeur ! qui vient sur noire terre,
Comme Jésus, multiplier les pains ! (bis.)
Sur les guérets, de la plaine à la cime,
Le bon Semeur, comme un dieu bienfaisant,
Jette aux sillons, par un geste sublime,
Le blé sacré, le seigle, le froment.
Là de sa main, la manne nourricière
Tombe à foison, comme des dons divins !
CHŒUR
Gloire au Semeur ! qui vient sur notre terre,
Comme Jésus, multiplier les pains ! (bis.)
Le bon Semeur, ah ! chantons ses largesses !
Sème pour tous dans ses vastes guérets ;
Du riche il double, en semant, les richesses,
Et jusqu’au pauvre il étend ses bienfaits ;
Grâce au Semeur, les fils de la misère
Auront leur part, sous le ciel, de bons grains!
CHŒUR
Gloire au Semeur ! qui vient sur notre terre,
Comme Jésus, multiplier les pains ! (bis.)
Saluez tous, superbes qu’on encense,
L’humble Semeur en haillons, qui n’a rien !
Vous lui devez tous vos champs d’abondance,
Vous lui devez votre pain quotidien.
Sans le Semeur, prince et millionnaire,
Sur leur tas d’or seraient des meurt-de-faim !
CHŒUR
Gloire au Semeur ! qui vient sur notre terre,
Comme Jésus, multiplier les pains ! (bis.)
Air : Les deux Sœurs de charité. (BÉRANGER.)
(Le chanteur ne chantera que les couplets imprimés en italiques.)
Compas au gousset de culotte,
Comme un glaive au flanc du soldat,
Le Charpentier, en courte cotte,
Est un luron dans son état,
Qu’un lourd travail jamais n’abat.
Sous son poing, sa hache aiguisée
Équarrit les pièces de bois,
Et sa besogne commencée,
A déjà fait saigner ses doigts.
REFRAIN
Gloire, gloire,
Ô bon drille, gloire !
A Ion art, qui fut le métier
De Jésus-Christ le Charpentier !
Ici, la tarière en sa ronde,
En suivant les traits du compas,
A percé la mortaise ronde,
Que la bésagüe aux deux iras
Dresse avec ses deux ciseaux plats.
Pour concourir au mariage
Des mortaises et des tenons,
La scie avant cet assemblage,
Taille poteaux, entraits, chevrons.
Gloire, gloire, etc.
Liant leurs forces mutuelles,
Pannes, contre-fiches, tirant,
Fermes, poinçons, poutres, poutrelles,
Vont monter sur le mur géant,
Pour en former le front puissant.
Déjà les dents de l’engrenage,
Tirant le câble gémissant,
Hissent le comble, immense ouvrage,
Pour couronner le bâtiment.
Gloire, gloire, etc.
En imitant l’œuvre divine
De Celui qui de notre dos,
A fait cette admirable épine
Qu’on appelle un chef-d’œuvre d’os,
Les Charpentiers font leurs travaux.
Leur charpente, cette ossature,
Comme l’échiné des humains,
Grâce aux plans de l’architecture,
Devient puissante sous leurs mains !
Gloire, gloire, etc.
Comme un général de science,
Sur le terrain, le Charpentier,
Sait diriger la résistance,
Concentrer ou fortifier,
Les forces qu’il va cheviller.
Il sait, sous la charge écrasante,
Dresser un Hercule de bois,
Qui peut, même dans la tourmente,
D’une ville porter le poids !
Gloire, gloire, etc.
Enfant de la géométrie,
L’art robuste du Charpentier,
Comme un gigantesque génie,
Dans ses bras forts sait marier
Le chêne énorme au pin altier.
Il élève une voûte aux cimes,
Et dans l’air un clocher géant ;
Il jette un pont sur les abîmes
Et des vaisseaux sur l’Océan !
Gloire, gloire, etc.
Des morales républicaines
Les Charpentiers suivent les lois ;
Ils partagent entre eux leurs peines ;
C’est à deux qu’ils coupent leurs bois ;
A dix qu’ils portent même poids.
C’est ainsi que les prolétaires
Devraient s’unir dans leurs travaux.
Leurs charges seraient plus légères ;
Ils seraient plus forts et moins sols.
Gloire, gloire, etc.
Le Charpentier a son histoire,
De maître Soubise il descend ;
Il s’en vante, et c’est là sa gloire,
A lui le compagnon passant.
Mais saint Joseph n’est pas content,
Car ce grand saint qui le patronne,
Regarde comme un chien galeux,
Ce drille à l’âme compagnonne
Qui hors l’Eglise fait des vœux !
Gloire, gloire, etc.
Charpentiers, ce saint, faut le dire,
Vous promet depuis des cents ans,
Comme un bon diable qui veut rire,
De vous aider, vous artisans,
A manger plus gras en tous temps.
Las.’ bien vieilles sont ses promesses,
Et rien n’a changé votre- sort,
Malgré vos millions de messes !
J’en conclus que ce saint est mort !
Gloire, gloire, etc.
Puisque les saints sont morts, mes frètes,
Puisque toujours en proie au mal,
Après vos chutes sur les pierres,
Sous le fardeau lourd et brutal,
Vous n’avez qu’un lit d’hôpital,
Loin des saints frappés d’impuissance,
Agissez comme un peuple-roi ;
En vous seuls ayez confiance,
Et tout vous viendra par surcroit !
Gloire, gloire,
Ô bon drille, gloire !
A ton art, qui fut le métier
De Jésus-Christ le Charpentier !
Air : Ma Vigne (P. DUPONT.)
Gloire à nous humbles Vignerons !
Si nous n’avons point à nos fronts
Les bonnets d’or, les riches mitres,
Qu’on met à l’évêque, un berger,
Vous valons mieux, dit Béranger,
Car Noé nous légua ses titres ;
De lui nous vient l’art sans pareil,
De faire boire du soleil !
REFRAIN
Vignerons, ayons l’âme fière !
On nous doit les sources du vin
D’où monte le bonheur humain,
Que le mortel (bis) boit à plein verre !
Notre labeur a rajeuni
Le sol que l’automne a jauni,
Et le coteau pauvre et revécue,
Plus empierré que les chemins,
Devient opulent sous nos mains ;
Dans son sein qu’a creusé la bêche,
Nous multiplions, nous les gueux,
Les rejetons des clos fameux.
Vignerons, etc.
Grâce à nos serpettes d’acier,
Jetant aux vents de février
La branche aride et vagabonde,
Nous faisons dans le bon sarment,
Couler la vie abondamment,
Et la vigne devient féconde ;
Sous les rayons, ces baisers d’or,
Elle germe un riche trésor !
Vignerons, etc.
Nous Vignerons, rois des coteaux,
Nous étendons nos verts rameaux
Autour des foules assoiffées ;
Nous agrandissons les ruisseaux
Où coule de la joie à flots !
En propageant les liqueurs fées,
Nous propageons chez les humains,
Bons mots, santé, rires divins !
Vignerons, etc.
Grâce à nous la vigne aux longs bras
Enguirlande les échalas
De grappes lourdes innombrables,
Sur les ceps, par nous anoblis,
Nous quintuplons les fruits bénis
Les fruits sacrés et délectables,
Où le soleil, ce créateur,
A mis des gouttes de bonheur !
Vignerons, etc.
On nous doit plus d’un clos divin,
Bouzy, Sauterne, Chambertin,
Qui font de l’esprit dans les têtes ;
On nous doit le vin belliqueux
Qui change en héros le peureux ;
On nous doit les grands vins des fêtes,
Ceux pour lesquels rien n’est sacré,
Et qui culbutent mon curé !
Vignerons, etc.
On nous doit le vin généreux,
Le vin d’espoir, le vin des gueux,
Le vin qui porte dans nos verres
L’esprit nouveau, fort en savoir,
Qui veut tout connaître et tout voir,
Et qui grandit les pauvres hères
En expulsant de leurs cerveaux
L’ignorance qui fait les sots !
Vignerons, etc.
On nous doit, immense trésor,
Des mamelles de pourpre ou d’or,
Mamelles aux veines profondes,
Qui toutes portent sous les deux
Assez de vin délicieux,
Pour enivrer dans les deux mondes
De Noé tous les descendants :
Les jaunes, les noirs et les blancs !
Vignerons, etc.
Pour clore ici cette chanson,
Que chacun de nous sans façon,
De pampres couronne sa tête ;
Car que de riches, que de gras,
Sans nous ne boiraient ici-bas
Que le cidre aigre ou la piquette !
S’ils ont bons vins à plein caveau,
C’est grâce à nous les buveurs d’eau !
Vignerons, ayons l’âme fière !
On nous doit les sources du vin
D’où monte le bonheur humain,
Que le mortel (bis) boit à plein verre !
Air. Le Petit Mousse.
Les Bouchers sont nombreux. Je vois dans leur famille
Jephté le divin juge, un boucher idiot,
Qui crut faire œuvre pie en égorgeant sa fille !
Je vois Abram, levant sur son fils son couteau !
Je vois des rois chrétiens, bouchers d’enfants, de femmes,
Qui les font éventrer au nom de Jésus-Christ !
Ces Bouchers que l’Église encense sont infâmes !
J’aime mieux le Boucher dont la main me nourrit, (bis)
Mon Boucher prend les bœufs par les cornes, en face,
Courbe leurs fronts armés, et d’un bras vigoureux,
Tout seul, et comme Hercule, ayant la même audace,
Il frappe l’animal énorme et furieux.
Jadis la sainte Église, en sa lâche puissance,
Par cent moines faisait, aux pieux abattoirs,
Assommer l’innocent, chétif et sans défense.
J’aime mieux mon Boucher, héros des échaudoirs. (bis.)
Mon Boucher, doux mortel, réprouve les tortures ;
Il est sensible au mal des veaux agonisants.
Jadis la sainte. Église, en d’horribles chaussures,
Broyait les petits pieds des enfants de neuf ans,
Et puis versait du plomb fondu sur leurs blessures,
Pour faire dénoncer les pères peu dévots !
Devant les tortureurs des enfants, âmes pures,
J’aime mieux mon Boucher,sensible aux cris des veaux (bis)
Jadis le paysan, devant l’arche sacrée,
Amenait pour les dieux qui ne le payaient point,
Son bélier, sa génisse à la corne dorée,
Que les prêtres mangeaient en riant dans un coin.
En songeant à ces dieux, ô paysans mes frères !
Qui prenaient vos troupeaux sans vous donner d’argent
J’aime mieux mon Bouclier,qui chez vous, sur vos terres,
Achète vos troupeaux à prix d’or, au comptant, (bis.)
En proie au sombre esprit qui, toujours d’eux se joue,
Autrefois des prélats, d’irascibles curés,
Faux prêtres de Celui qui tendait l’autre joue,
Fouettaient, l’écume aux dents, des hommes vénérés,
Qui ne voulaient pas croire, ayant quelques lumières,
Qu’un pigeon avait fait à la Vierge un enfant !
Devant ces tonsurés aux brutales lanières,
J’aime mieux mon Boucher au fouet intelligent. (bis.)
Au bon temps où les rois faisaient percer les langues
Des pauvres paysans quand ils avaient juré,
L’Église, elle, à son tour, si bonne… en ses harangues,
Leur arrachait les dents avec un fer sacré !
Et cela pour avoir, un jour, dans le carême, ,
Mangé la couenne rance à défaut de hareng !
J’aime mieux mon Boucher, des hommes c’est la crème:
Plus je mange de viande et plus il est content, (bis.)
Jadis la sainte Église, aux crocs d’une potence,
Dans ses prisons pendait le frondeur tout vivant,
S’il avait dit tout bas ce que dit la science,
Quand son doigt montrée l’homme où le saint Livre ment.
Mon Boucher, lui, ne pend, à ses hautes chevilles,
Que des inanimés, brebis ou bœufs géants !
J’aime mieux mon Boucher,qui, nous ouvrant ses grilles,
Nous offre à ses crochets des pendus alléchants, (bis.)
Par ordre d’un grand Prêtre, autrefois, sous les branches,
Au nom du dieu biblique, au nom de votre Dieu,
Un sciait des vivants les corps entre deux planches,
Et c’était œuvre sainte alors sous le ciel bleu. 1
J’aime mieux mon Boucher, qui, dans sa boucherie,
N’a scié que les os insensibles d’un mort,
Mort qu’on ne pleure point, mort que tout ventre envie,
Et que dans nos festins à belles dents on mord, (bis.)
Jadis la sainte Église, en ses haines cruelles,
Faisait rougir au feu des tenailles de fer,
Pour arracher, horreur ! des mères les mamelles,
Supplice qui manquait, prêtres, dans votre enfer !
Cette Église brûlant le sein gauche à ses filles,
En se couvrant d’un masque, afin de mieux haïr,
Me fait te préférer, toi Boucher qui ne grilles
Du bétail que la laine ou le poil ou le cuir ! (bis.)
Mais, dit-on, ce vieux temps aux cruautés sans nombre,
Doit tomber, ici-bas, dans l’éternel oubli,
Car il n’est plus possible. Il n’est plus rien… qu’une ombre!
Grosse erreur ! n’est-ce pas, ô doux Antonelli ?
Vous le grand cardinal qui de nos jours à Rome,
Avez fait remonter le chevalet cruel !
Grosse erreur! n’est-ce pas,vous Freppel, un saint homme,
Qui, furieux, voulez que vos dieux, de leur ciel,
Répandent sur nos fronts leurs sept coupes de fiel !
1 La Bible dit : Vous écraserez contre terre les enfants, et vous fendrez le ventre aux femmes grosses, etc. Voir Les Rois, IV-VIII.
Air : Le bon Vieillard. (BÉRANGER.)
(Le chanteur ne chantera que les couplets imprimés en italiques.)
Chez nos aïeux filer fut œuvre exquise.
C’est en filant au rouet, nous dit-on,
Que Maintenon, la charmante marquise,
Sut attirer le roi dans son giron.
Quenouille au flanc, filaient les jeunes reines.
Hercule, un dieu, fila comme sa sœur.
Puisqu’ont filé les dieux, les souveraines,
Bas les chapeaux ! Saluons le Fileur !
L’art du Fileur tient vraiment du prodige.
A l’humble graine, il prend des poils naissants,
Il prend la peau d’un brin d’herbe, en sa lige,
D’une chenille, il prend les excréments,
Avec ces riens, il fait un fil de toile
Aussi puissant, sur mer, que la vapeur,
Puis assez fin pour monter vers l’étoile !
Bas les chapeaux ! Saluons le Fileur !
L’humble Fileur devant qui je m’incline,
Dans l’atelier m’apparaît en géant.
Sa main commande à l’énorme machine,
Dont la voix monte en long mugissement.
Là, s’emparant des puissances motrices,
De dix métiers il fait battre le cœur ;
Il donné vie aux forces créatrices.
Bas les chapeaux ! Saluons le Fileur !
Salut à toi ! Jeannette, la Fileuse,
Née au grand front d’Hargreave, un ouvrier.
Salut à toi ! machine merveilleuse,
Fille d’Arkwright, le pauvre perruquier.
Salut, partout, aux machines nouvelles,
Qui, pour aïeux, ont eu le travailleur
De lin, de laine ou de fines dentelles.
Bas les chapeaux ! Saluons le Fileur !
Des dix métiers aux forces déployées,
L’adroit Fileur dirige les cent bras.
L’un des métiers bat les laines souillées ;
L’autre est peigneur du chanvre aux cheveux plats ;
L’autre est dresseur des fibres paresseuses ;
L’autre les livre au cylindre étireur.
Tous ces métiers font œuvres merveilleuses.
Bas les chapeaux ! Saluons le Fileur !
L’humble Fileur que sa besogne ploie,
Change en filets fins, soyeux, résistants,
Lin, coton, chanvre, et la laine et la soie,
Qu’il a tirés de la bête ou des champs.
Il les enroule aux bobines en ronde,
Qui sur un pied, ô travail d’enchanteur !
Font en filant mille tours par seconde.
Bas les chapeaux ! Saluons le Fileur !
J’aime à vous voir frêles aiguilles croches,
Peigner le fil. Mais j’admire, ô Fileur !
Sur tes métiers, tes millions de broches,
Qui chacune ont, au flanc, un dévideur.
J’aime à les voir dans leurs rapides rondes ’
Filer des fils sans fin, dont la longueur
Pourrait couvrir de tissus les deux mondes!
Bas les chapeaux ! Saluons le Fileur !
L’humble rouet, qui ronfle aux mains des vieilles,
Avec la broche unique d’autrefois,
Des métiers neufs admirant les merveilles,
Tout ébahi, semble prendre une voix ;
Aux vieux fuseaux, aux quenouilles coiffées,
Qui longuement filent courte longueur,
Il dit : « Crions, gloire aux machines fées ! »
Bas les chapeaux ! Saluons le Fileur !
Le vieux rouet, en chantant ta louange,
Fileur d’usine, a mille fois raison ;
Car, grâce à toi, de Londre aux bords du Gange,
Tout homme nu peut avoir sa toison.
C’est pour un rien que toutes tes machines
Filent l’habit du pauvre travailleur;
Ta main aux gueux met des chemises fines.
Bas les chapeaux ! Saluons le Fileur !
Humble Fileur, et loi Bobine ardente,
Dont les travaux sont chaque jour plus prompts,
En remplaçant la quenouille indolente,
Vous faites naître un espoir dans nos fronts.
Par vous, demain, ceux que leur tâche accable,
Abrégeront le pénible labeur.
Qu’exige encor le maître insatiable.
Bas les chapeaux ! Saluons le Fileur !
Tout répudie ou fuit sa foi première,
L’homme, l’État et la Religion ;
Le Fileur même, en sa ruche ouvrière,
N’adore plus le grand dieu Million,
Il veut ce gueux, ployant sous sa merveille.
Que l’or oisif, ce fétiche farceur,
Ne mange plus son miel, à lui, l’abeille !
Bas les chapeaux ! Saluons le Fileur !
Air : Le Petit homme gris (de BÉRANGER).
(Le chanteur ne chantera que les couplets imprimés en italiques.)
Le Coiffeur est unique,
Car quand il apparaît,
Il nous plaît.
Riante est sa boutique,
Et riants sont ses mots
D’à-propos.
De son humeur gaie,
Qui toujours égaie,
Il sait donner la fleur.
Qu’il est charmant (bis) le Perruquier-Coiffeur !
Sortant de bonne forge,
Son rasoir bien coupant,
Prestement,
De la joue à la gorge
Sait faucher… notre peau,
Sans accroc.
Il sait, douce chose,
Donner de la rose
Le velours, la fraîcheur !
Qu’il est charmant (bis) le Perruquier-Coiffeur !
Sans le rasoir qu’un raille,
Sans les ciseaux tondeurs
Des Coiffeurs,
Les barbes en broussaille,
Les hommes chevelus
Et velus.
Comme le gorille,
Qu’aucun fer n’étrille,
Aux femmes feraient peur !
Gloire aux outils (bis) du Perruquier-Coiffeur !
Changeant nos laides faces,.
Le Coiffeur, peigne en main,
Est divin.
Il nous donne des grâces ;
Son art sait embellir,
Rajeunir ;
Ses boucles flottantes,
Soyeuses, brillantes,
Accrochant tous les cœurs !
Qu’il est adroit (bis) le Perruquier-Coiffeur !
Nous donnant un baptême
De crème ou lait d’Iris,
Ou de riz,
Le Coiffeur que l’on aime,
Corrige nos maigreurs,
Nos pâleurs ;
Sa magique essence
De l’adolescence,
Fait refleurir la fleur !
Qu’il est savant (bis) le Perruquier-Coiffeur I
Le Perruquier, mes frères,
Sur nos crânes honteux,
Sans cheveux,
Fait flotter les crinières
Les cheveux drus et longs
Des lions ;
Aux têtes d’ancêtre,
Il fait reparaître
Un toupet séducteur !
Qu’il est puissant (bis) le Perruquier-Coiffeur !
Son fer à papillotes,
Ses nattes, ses anneaux,
Ses bandeaux,
Font aux femmes vieillottes
Des charmes, des beautés…
Respectés ;
De la calvitie,
Qui les humilie,
Il voile l’impudeur !
Oh I qu’il est bon (bis) le Perruquier-Coiffeur !
Jadis, les grandes dames
Demandant du bonheur
Au Coiffeur,
Sans redouter ses flammes,
Passaient toute une nuit 2
Avec lui,
Pour qu’il presse, ô joie !
Leurs cheveux de soie,
Dans ses doigts d’enchanteur.
Qu’il était fier (bis) le Perruquier-Coiffeur!
Louis quatorzième
Au Coiffeur empruntait
Son toupet.
Ce fut ce diadème,
Qui fit ce Roi pareil
Au soleil ;
C’est cette perruque,
Qui sur peau caduque,
Fascina tant de cœurs !
Qu’ils étaient grands (bis) les Perruquiers-Coiffeurs !
Sur la machine ronde,
Chacun en son milieu
Coiffe un peu ;
Ceux-ci comme Joconde,
Coiffent plus d’un mari
Dont on rit ;
Mon Coiffeur, ô chance !
A plus de puissance,
Il coiffe un empereur !
Qu’il est heureux (bis) le Perruquier-Coiffeur !
Le jour du mariage,
Avant le fiancé
Fort pressé,
Le Coiffeur tout en nage,
Prend l’épouse au chignon,
Sans façon ;
Le premier, ô gué !
De la mariée,
Il arrange la fleur !
Qu’il est chançard (bis) le Perruquier-Coiffeur !
Des cloches politiques,
Connaissant tous les sons,
Faux ou bons,
Les Coiffeurs sont logiques,
Car ils en savent long,
Et tous vont
Aux nouveaux régimes,
Qui fout d’eux, infimes,
Les égaux des Seigneurs !
Qu’ils ont du flair (bis) les Perruquiers-Coiffeurs !
Le Coiffeur, ça s’explique,
Qui connaît tous les cris
Des partis,
Sait que la République
Pour le peuple a le cœur
Le meilleur ;
Il sait que c’est elle
Qui fera plus belle,
La part du travailleur.
Qu’il est futé (bis) le Perruquier-Coiffeur !
2 Sous Louis XVI, alors qu’il était de mode de porter sur la tête une pyramide de cheveux, les grandes dames passaient la nuit sur une chaise avec leur coiffeur.
Air : Ma Vigne (P. DUPONT).
Sous nos haillons vieillis, déteints,
Dont nous couvrent d’ingrats destins,
Vendangeurs ayons l’âme fière ;
Car si Moïse est vénéré
Pour avoir au désert, tiré
D’un sol rocailleux de l’eau claire,
Nous valons mieux, nous, des cailloux,
Nous faisons jaillir du vin doux !
REFRAIN
Vendangeurs dépouillons les treilles.
Des grappes tirons la santé,
L’amour, l’esprit et la gaîté ;
Puis mettons les (bis) tous en bouteilles !
Le raisin mûr moins altéré
Boit un dernier rayon doré,
Amis commençons la vendange !
Avec des chansons dans nos cœurs,
Vendangeuses et
Vendangeurs,
Allons, ô vivante louange !
Couronner dans les clos féconds
Le bon travail des Vignerons !
Vendangeurs, etc.
La vigne riche lord ses reins
Sous les beaux fruits de ses écrins,
Et nous convie à la cueillette !
En longeant des clos les sentiers,
Faisons pleuvoir dans nos paniers
Les trésors de cette coquette ;
Cueillons le fruit d’or ou vermeil
Qui dans son sein a du soleil !
Vendangeurs, etc.
Hotte à l’échine ou banne en main,
Le corps ployé sous le raisin,
Montons, Vendangeurs, Vendangeuses,
Montons au-dessus des cuviers ;
Versons dans leurs larges gosiers
Nos flots de grappes merveilleuses,
Grappes au jus qui rajeunit
Et qui donne à tous de l’esprit !
Vendangeurs, etc.
Sur les cuviers gorgés, fumants,
Filles et garçons bondissants,
Foulons les grappes écrasées.
Changeons les pulpes en rayons ;
Au sein des cuves distillons
D’exquises liqueurs embrasées,
Qui, grâce à nous, seront demain
Du bonheur pour le genre humain .
Vendangeurs, etc.
Dans les cuves le feu s’éteint,
Portons au pressoir le raisin.
Sous la spirale gémissante,
En flot d’opale ou de carmin,
Faisons jaillir l’âme du vin ;
Qu’elle coule, source odorante,
En faisant naître en son chemin
Les amours au baiser divin !
Vendangeurs, etc.
A nous pères des vins-nouveaux,
Qui mettons la joie en tonneaux,
On doit le grand vin qui chansonne ;
Le vin qui portant l’âme aux cieux,
La fait parler comme les dieux !
Ce vin en sortant de la tonne
Va mettre des flammes aux fronts
Des Desaugiers et des Pirons !
Vendangeurs, etc.
Sans Vendangeurs, bel amoureux,
Que le vin fit audacieux,
Auriez-vous su conquérir Rose ?
Sans les vins, hardis enjôleurs
Qui font prendre d’assaut les cœurs,
Près d’elle vous étiez tout chose !
L’amour qui vous a couronné
Dans le flanc de ma cuve est né !
Vendangeurs, etc.
A nous les Vendangeurs français
La France doit plus d’un succès ;
C’est nous qui portons dans les veines
Le feu qui fait les valeureux.
Grâce à nos vins nos gars bien mieux
Qu’avec chapelets ou neuvaines,
Dans le pays du froid houblon
Battront la Prusse au cul de plomb !
REFRAIN
Vendangeurs dépouillons les treilles.
Des grappes tirons la santé,
L’esprit et l’intrépidité ;
Puis mettons-les (bis) tous en bouteilles !
Air : Le Chant des Ouvriers (P. DUPONT)
Je chante noire vieux métier.
Ecoutez, vous tous qui le faites.
Comme artisan, un Menuisier,
Certes mérite qu’on le fête.
N’est-il pas, lui, sous tous les cieux,
Ce génie à la main féconde,
Qui, sous ses vêtements de gueux,
Est nécessaire à tout le monde !
REFRAIN
Dans cent ans, disons-le bien«haut,
Les maillets, les rabots, les scies,
Qui font plus belles les patries,
Seront du temps nouveau,
Les blasons et les armoiries !
Je morcelle intelligemment
Les pins, les peupliers, le chêne,
Pour faire l’été moins brûlant
Et du froid adoucir l’haleine ;
Je fais monter l’homme eu l’azur,
Par mes escaliers en spirale,
Et j’arrête aux seuils, l’air impur,
Les loups, la pluie et la rafale.
Dans cent ans, etc.
Mes lambris polis, somptueux,
Mes parquets à coupe élégante,
Font à la poutre, au mur rugueux,
Une toilette ravissante.
Embellissant les nids humains,
Où l’être en sûreté s’abrite,
Je sais refaire des édens
A la race qui fut maudite !
Dans cent ans, etc.
Je dresse dans tous les saints lieux,
La chaire, tribune sacrée,
Qui, sous son dôme merveilleux,
Par les foules est vénérée.
Dans ma chaire, au sein des dévots,
Le verbe d’or de l’éloquence,
Des dieux qu’ont taillés mes ciseaux,
A fondé la toute-puissance !
Dans cent ans, etc.
On me doit un chef-d’œuvre encor,
C’est la stalle du sanctuaire,
Où le vieux chanoine s’endort,
Avant la fin de sa prière.
Se renversant sur mon dossier,
Sous ma voussure, une couronne,
Ce bienheureux, ô doux métier !
Grâce à moi, rêve sur un trône !
Dans cent ans, etc.
Ce sont mes outils, bon curé,
Qui, dans vos temples des mystères.
Ont érigé l’autel sacré,
D’où vous courbez bien bas vos frères !
Cet autel sous mes savants doigts,
S’élève et se change en collines,
Où les saints de pierre et de bois.
Semblent des images divines !
Dans cent ans, etc.
Je ne suis point fier et pourtant,
C’est moi qui fais les tabernacles,
Où le Dieu des chrétiens descend,
Tour opérer ses grands miracles.
Je fais un merveilleux salon,
Sur terre, à ce maître des mondes,
Qui sans moi serait sans maison,
Comme les âmes vagabondes !
Dans cent ans, etc.
Gloire au Menuisier qu’a pâli
La rude besogne incessante !
Hommage à nous tous, qu’anoblit
Notre œuvre utile et bienfaisante !
Nous avons droit à tant d’honneurs
Mieux que le César qui foudroie ;
Car ses armes font les douleurs !
Nos outils, à nous, font la joie !
REFRAIN
Dans cent ans, disons-le bien haut,
Les maillets, les rabots, les scies,
Qui font plus belles les patries,
Seront du temps nouveau,
Les blasons et les armoiries !
Air : Le Noël d’Adam.
(Le chanteur n’est point obligé de chanter tous ces couplets ; il peut en diminuer le nombre, et choisir ceux qui seront de son goût.)
Les vieux auteurs, nouveaux Épiménides,
Dans leurs tombeaux se sont tous réveillés,
Pour voir la presse aux cylindres humides,
Où leurs écrits se sont multipliés.
Ô Guttenberg ! devant ton outillage,
Ils ont chanté comme un céleste chœur :
Peuple debout ! au Typo rends hommage !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur ! (bis.)
Avec Platon, Pline, Tacite, Homère,
Chez l’imprimeur où leur âme revit,
Entrons, amis, dans la ruche ouvrière,
Qui sur le monde à flots verse l’esprit.
Les travailleurs sont sur notre passage,
Saluons-les, dans leur noble labeur.
Peuple debout ! au Typo rends hommage !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur t (bis.)
Dans l’atelier, qui ressemble, ô misère !
Aux vieux tableaux enfumés d’un Rembrandt,
Chaque imprimeur, sous sa toque légère,
Est à sa casse, et l’œil fier, il attend
Que l’orateur, le poète, le sage,
Fassent de lui leur collaborateur.
Peuple debout ! au Typo rends hommage !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur ! (bis.)
Là, le Typo devient le secrétaire
Du grand génie et du sublime esprit ;
Sa main refait leur œuvre tout entière,
Sous l’alphabet, que par lettre il conduit.
Il fait éclore et la ligne et la page ;
Il ressuscite une âme au composteur.
Peuple debout ! au Typo rends hommage !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur ! (bis.)
Des millions de lettres sont pressées
Dans leurs châssis, sous l’effort du Typo.
Il les unit pour peindre les pensées
Des Michelet, des Proudhon, des Hugo.
Hugo, Proudhon, grâce à cet assemblage,
Viennent revivre aux mains de l’imprimeur.
Peuple debout ! au Typo rends hommage !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur ! (bis.)
De plomb vêtue, ici la forme émerge,
Ayant au flanc l’œuvre de l’écrivain,
Qui, sous la presse, et sur le papier vierge.
En s’imprimant se reproduit sans fin.
Grâce à la forme, ô merveilleux ouvrage !
Cent mille enfants naîtront de chaque auteur !
Peuple debout ! au Typo rends hommage !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur ! {bis.)
Suant de l’encre, à son marbre, en silence
La presse roule, et répand à foison
Les fruits exquis de l’arbre de science
Et ceux du rêve et ceux de la raison.
«Sans se lasser, sans cesse elle propage
Ces fruits divins, qui nourrissent le cœur.
Peuple debout ! au Typo rends hommage !
Noël ! Noël ! Voici ton rédempteur ! (bis.)
L’idée éclose au fond de la cervelle,
Grâce au Typo, sort de l’obscurité ;
C’est lui qui donne à cette idée une aile,
Lui qui lui fait le don d’ubiquité :
Sans le Typo qui partout la propage,
Elle mourrait souvent chez son auteur !
Peuple debout ! au Typo rends hommage !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur ! (bis.)
L’humble Typo, dans son imprimerie,
Sous son bonnet, sa mître de papier,
Le Verbe en main, est semblable au Messie
Qu’en la Judée acclamait l’ouvrier.
Les affligés viennent sur son passage,
Lui demander le mot consolateur !
Peuple debout ! au Typo rends hommage !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur ! (bis.)
Journaux de lutte, où la phrase étincelle,
Grâce au Typo, comme un essaim d’esprits,
Portent l’idée et la bonne nouvelle
Aux exploités, aux martyrs, aux petits ;
Au peuple en marche, ils donnent du courage ;
Us font lever l’aube d’un jour meilleur !
Peuple debout ! au Typo rends hommage !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur ! (bis.)
Aux ateliers qu’il nomme « ses cavernes »,
L’humble Typo nous fait des firmaments,
En allumant dans nos nuits les lanternes,
Qui guident l’homme en ses tâtonnements.
Au bord du gouffre et sur l’obscur rivage,
Il fait jaillir le livre, une lueur !
Peuple debout! au Typo rends hommage !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur ! (bis.)
Toujours debout, le Typo sur la terre,
De l’âme humaine épanche les rayons ;
Comme un soleil il répand la lumière ;
Il ensemence, ô nations ! vos fronts :
En blé sacré, des millions de pages
Tombent des mains de ce,puissant semeur !
Peuple debout ! au Typo rends hommage !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur ! (bis.)
A l’imprimeur, jadis l’Eglise sainte,
Disait : Compose à ma guise, et pour moi !
Si tu redis de l’opprimé la plainte,
Je brûlerai ton corps au nom du roi!
Le fier Typo brava ce cri sauvage ;
Il fut brûlé, mais le droit fut vainqueur !
Peuple debout ! au Typo rends hommage !
Noël ! Noël ! voici Ion rédempteur ! (bis.)
C’est grâce à toi Typo, qu’un jour, la France,
Devint frondeuse et brisa le carcan,
Les chevalets, les crocs, et la potence,
Qu’elle empourprait de son généreux sang.
C’est le pamphlet, qu’imprima ton courage,
Qui la dressa sur son lit de douleur !
Peuple debout ! au Typo rends hommage !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur ! (bis.)
Le Typographe, aux mains pleines d’idées,
Fit plus heureux, ô France ! tes destins ;
Il a grandi ton front de cent coudées ;
Il en a fait l’astre que les humains
Suivent des yeux, en imitant le mage,
Pour les guider vers un Code sauveur !
Peuple debout ! au Typo rends hommage !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur ! (bis.)
Le fier Typo, qui toujours multiplie
L’esprit frondeur sous ses doigts fécondants,
Vient réveiller chaque foule assoupie,
Vient élever les cœurs trop indolents.
Il fait bondir le peuple encore en cage,
Aux fronts des rois, il fait monter la peur.
Peuple debout ! au Typo rends hommage !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur ! (bis.)
Presse et Typo faisant l’œuvre qui plane,
Sont, dit Hugo, les deux clairons vivants
Qui vont sonner des peuples la diane,
Et les mener aux nouveaux Chanaans !
Pour le guider vers sa part d’héritage,
Ils font lever partout le travailleur !
Peuple debout ! au Typo rends hommage !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur ! (bis.)
Chateaubriand, grand parmi les’génies,
Dit à son tour que le Typo fera
Du sud au nord crouler les monarchies,
Et que cette œuvre, ici-bas, durera
Jusqu’au jour faste, où, colossal ouvrage,
Il aura fait naître un monde meilleur !
Peuple debout ! au Typo rends hommage !
Noël ! Noël ! voici ton rédempteur ! (bis.)
Air : Les Louis d’or (P. DUPONT.)
Cilice de sueur en tête,
Le torse, les pieds, les bras nus,
Comme au cirque combat l’athlète,
Comme était au gibet, Jésus.
Moi, Boulanger qu’on humilie
Sous l’épithète de mitron,
Je me redresse, sans furie,
Pour donner un lustre à ce nom.
Je veux que, changeant de langage,
Mon loustic, Français né malin,
Vante lui-même mon ouvrage,
Et vienne encenser mon pétrin !
Dans mon pétrin, la tête basse,
Je verse aux levains altérés
Le sel et l’eau ; puis je les brasse
Pour former des pâtons serrés.
Là, mes mains plates ou crispées,
Sous l’effort vigoureux qui geint,
Soulèvent les pâtes frappées,
Que gonfle un remuant levain.
Saluez tous, hommes superbes,
Car c’est le vainqueur de la faim,
Ce dieu né dans le sein des gerbes,
Qui va sortir de mon pétrin !
Là, dans ma fournaise embrasée,
Où brûle un pétillant sapin,
Ma pâte en pâtons divisée
Va se transformer en bon pain.
C’est ce pain dont l’homme est avide,
Que, Providence du chemin,
Je présente à tout ventre vide,
Que torture la pâle faim ;
C’est ce bon pain qui rassasie
Tes appétits, ô genre humain !
De mes fours sa croûte est sortie,
Sa mie est fille du pétrin !
Jadis, paysan, prolétaire,
Vivaient de maïs, de pain vieux,
D’avoine et de pommes de terre ;
Le pain de chien était pour eux !
Moi qui, je l’avoue, eus pour pères
Ces travailleurs si mal nourris,
A leurs enfants qui sont mes frères,
En songeant au vieux temps, je dis :
Demain, frères, comme les riches,
Vous aurez vos parts de bon grain,
Le pur froment, les blanches miches,
Pour tous sortiront du pétrin !
Déjà le pain noir est plus rare
Sur la table du travailleur,
Et la République prépare
Un régime toujours meilleur.
Cependant le pain de la vie
Fait tendre encor beaucoup de mains,
Et le pain amer qu’on mendie
Met la haine aux cœurs des humains !
Quand donc le peuple qu’on couronne,
De par son droit de souverain,
Refusant le pain de l’aumône,
Boulangera dans son pétrin ?
Autour des tables de délices,
Riches, comptez dans vos festins,
Parmi vos meilleures nourrices,
Mes panetons, plats toujours pleins.
Ces corbeilles, aux clientèles
Présentent flûte et pain mollet,
Le pain de reine et des chapelles,
Le pain chaland, le pain de lait ;
Ces pains faits de fleur de farine,
Que je marie au beurre fin,
A mon savoir doivent leur mine,
Et leur saveur à mon pétrin !
Moi, Boulanger, je m’en fais gloire,
Je suis père d’un Jésus-Christ !
Croyez-moi, la chose est notoire,
Car c’est ma main qui le pétrit !
C’est moi qui fais le pain des anges,
Que l’on donne en communion ;
Je fais le bon Dieu que tu manges,
Ô mon frère en religion !
Et ce bon Dieu, profond mystère,
Que l’on appelle le Dieu pain,
Se forme sous ma main grossière ;
Il prend son corps dans mon pétrin !
Air. Le Petit Mousse.
L’architecte a passé. Vient le Tailleur de pierre,
Qui dans l’architecture a place au second rang.
Là, sa main qui commande au compas, à l’équerre,
D’une projection conduit le trait savant.
D’un plan géométral il forme la figure :
L’angle est dans le degré, l’arc tourne hardiment ;
Les panneaux sont tracés, ces panneaux c’est l’épure !
Et cette œuvre d’artiste est due à ton talent,
Rude Tailleur de pierre au vieux bourgeron blanc !
Ayant quitté les lits dévastés des carrières,
Les tufeaux, les granits, déjà sont aux chantiers,
Où, longue scie en mains les scieurs de pierre
Coupent ces blocs pesants, qui tombent par quartiers.
Tous ces quartiers nombreux à la forme grossière,
Sous la ligne ou la courbe ou l’angle des panneaux,
Bientôt vont revêtir une forme plus fière,
Et ce sera ton œuvre à toi, Tailleur de blocs,
Qui d’une pierre brute anoblit les morceaux.
L’herminette et la pioche à pointes qui font brèches,
Le têtu, masse en fer à tête d’allemand,
Sur les tendres tufeaux, sur les granits revêches,
A grands coups redoublés s’abattent lourdement.
Guidés par les panneaux de points et de douelles,
Ces outils acérés, froids, mordants et coupants,
Donnent à chaque bloc plusieurs faces nouvelles,
Et ces aspects divers, et ces aspects changeants,
Vous sont dus, ô Tailleurs de pierre intelligents !
Sur les chantiers, la pierre ou rose ou blanche ou grise,
A sous l’habile outil pris cent corps différents,
Tous ces corps rassemblés, ô prodige ! ô surprise !
Vont debout ou couchés se montrer en géants.
Ils viennent s’arrondir en piliers, en coupoles,
Se jeter sur les flots en arcs, en ponts hardis,
Ou monter en clochers aux fronts des métropoles !
Et tout ce grandiose est né sous vos outils,
Ô Tailleurs du colosse, ô Tailleurs de granits !
Tous les blocs sont montés. Chacun d’eux a pris place
A la voûte, à la tour, aux murs monumentaux.
Sur de fragiles ponts, suspendus dans l’espace,
Les Tailleurs de ces blocs achèvent leurs travaux.
C’est le ravalement. Là leurs mains se blanchissent.
En poussant le guillaume et le rabot neigeux,
Qui grincent en courant sur les murs qu’ils polissent.
Et cette œuvre dans l’air, sur un pont périlleux,
C’est votre œuvre, ô Tailleurs de pierre audacieux !
Mais que vois-je ? ô douleur ! le frêle échafaudage,
Comme un aigle blessé dans les airs a crié.
Un homme s’en détache, et du troisième étage,
Il tombe. On le relève. Il est estropié !
Société, quand donc ces hommes intrépides,
Victimes d’un travail qui fait tes jours meilleurs,
Te verront leur bâtir un hôtel d’invalides,
Eux qui risquent leurs jours pour toi sur les hauteurs,
Et qui n’ont que l’aumône à leurs lits de douleurs !
Des Tailleurs de rochers, l’origine est princière,
Puisque leurs compagnons sont fils de Salomon.
Mais cette noble race, en son temps, en sa sphère,
A-t-elle fait valoir son nom de compagnon ?
Non, car ses bras tendus depuis trois mille années
Vers la fraternité d’un petit monde étroit,
N’ont jamais pu changer ses pauvres destinées !
C’est toujours la misère, hélas ! qu’en vous on voit,
Ô Tailleurs de granits ! compagnons ! fils de roi !
Ô Tailleurs de rochers ! si les vents des misères,
Depuis tant de mille ans soufflent toujours sur vous,
Il faut attribuer la faute à vous, mes frères,
Compagnons divisés en chiens, en loups-garous !
C’est le morcellement du grand corps prolétaire,
Qui fait que ce grand corps est toujours le petit.
Quand ses tronçons épars s’allieront sur la terre,
Quand le peuple en morceaux se sera rebâti,
De ce colosse entier la misère aura fui !