Muse populaire

Les
Chansons
de métiers

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par

Tome premier (partie 1/3)

Paris
Léon Vanier éditeur
19, quai Saint-Michel

D’après Gallica.

 

La longueur de ces Chansons, qui sont faites autant pour être lues que pour être chantées, dépasse souvent la mesure ordinaire. Cette longueur ne doit point éloigner le chanteur. Il pourra n’accepter que les couplets qui seront de son goût ; il pourra ne chanter que ceux qui sont imprimés en caractères italiques.

Table des matières

PREFACE
LES MOISSONNEURS
LES MÉCANICIENS
LES PAYSANS ÉMANCIPÉS PAR LA RÉPUBLIQUE
LE PEINTRE-VITRIER
LE LABOUREUR
LES FONDEURS
LES CORDONNIERS
LE PLAFONNEUR
LE TISSEUR
LE SEMEUR
LE CHARPENTIER
LES VIGNERONS
LES BOUCHERS
LE FILEUR
LE COIFFEUR PERRUQUIER
LES VENDANGEURS
LE MENUISIER
LE TYPOGRAPHE
LE BOULANGER
LE TAILLEUR DE PIERRE
LES PAYSANS DANS LE BON VIEUX TEMPS
L’ÉBÉNISTE
LE CUISINIER
LE MAÇON
LE VERRIER
LE JARDINIER
LE TAILLEUR
LE SERRURIER
AUTRE SERRURIER
LE MACHINISME DÉMOCRATIQUE
LES MINEURS

 

PRÉFACE

Les préfaces sont, dit-on, rarement lues. La mienne, sans doute, mérite leur sort commun. Cependant je prie le lecteur de la lire ; elle l’aidera à comprendre mieux mon œuvre.

Il y a plus d’un siècle, Turgot écrivait à Mme de Graffigny : « Je vois que partout la première leçon qu’on donne aux enfants est de mépriser les ouvriers. Les parents regardent cela comme une vertu ! »

La constatation du sage Turgot pourrait également être faite aujourd’hui. Les choses ne sont guère changées. « C’est toujours, dit Michelet, la vieille malédiction qu’un passé sans cœur jetait sur les travailleurs, en enseignant que ceux qui manient l’outil et portent des fardeaux sont des châtiés de Dieu. Dogme barbare, démenti par la raison et vaillamment combattu par la Révolution française, qui a proclamé la sanctification du travail.

M’inspirant des idées justes et généreuses de la Révolution, j’ai pensé que les serviteurs, jugés les plus grossiers par le vieux monde, devaient, comme les maîtres, avoir une place dans l’hymne universel ; j’ai pensé que ceux qui bâtissent les cités, que ceux qui habillent et nourrissent le genre humain, avaient plus droit aux hommages des hommes que les conquérants et les princes qui, dit l’évêque Grégoire, « sont dans l’ordre moral ce que sont les monstres dans l’ordre physique. »

Plein de cette pensée, je me suis mis à la besogne. J’ai célébré ceux qui produisent au lieu de ceux qui détruisent. J’ai glorifié ce que J. Janin a appelé « la gloire des guenilles ». Dans une sorte de poème cyclique, j’ai exalté tous les métiers, toutes les professions manuelles. Dans une espèce d’hymne à mille strophes, simple et sans prétention, j’ai fait apparaître tous les humbles bienfaiteurs de l’humanité, tous ceux qui rendent la vie plus belle et plus douce. Il y a là une œuvre qui, selon moi, aura peut-être le mérite de la nouveauté. Le genre que je traite ici n’existe point dans notre langue. Les troubadours des villageois, les bardes des artisans, les chansonniers de la foule : le gai Panard, le spirituel Gouffé, le graveleux Désaugiers, Béranger le poète national, P. Dupont le poète de l’atelier, en un mot, tous les chansonniers populaires n’ont jamais songé à chanter dans son universalité le travail, cette gloire du peuple. Quelquefois, par aventure, ils ont esquissé des silhouettes d’artisans ; souvent ils nous ont amusés avec les lazzi, les saillies, les splendides bouffonneries de la ferme ou de l’atelier ; tous ont rimé peu ou prou des stances aux bonnes gens ; mais aucun d’eux n’a chanté dans leur ensemble les bienfaits de ces bonnes gens ; aucun d’eux n’a célébré l’œuvre colossale de ce Briarée aux millions de bras, qui couvre notre globe de ses bienfaits et de ses merveilles.

Ce que les vieux rythmailleurs français, ce que les Désaugiers, ce que les Béranger n’ont point voulu faire, je l’ai tenté, moi chétif. J’ai chanté les métiers. Ma vive sympathie pour les oubliés, pour les dédaignés, m’a donné, à défaut de l’inspiration, tout le,courage nécessaire pour entreprendre une œuvre aussi étendue et aussi complexe. J’ai essayé de peindre sous tous leurs aspects les multiples et gigantesques travaux de ceux qu’on a appelés la vile multitude, de ceux qu’on a rejetés au dernier degré de l’échelle sociale.

Je sais que cet essai est téméraire. Je sais que pour décrire un métier d’une façon compréhensible, il faut forcément faire une longue description et la bourrer de mots techniques, deux défauts à la fois. Je sais qu’il est difficile de faire éclore des fleurs poétiques dans la poussière d’un atelier. Je sais qu’il est difficile, sinon impossible, de faire entrer dans le cadre étroit d’une chanson le portrait en pied d’une profession, avec son outillage, avec ses attributs, avec ses productions. Je reconnais qu’il y a dans tout cela de grosses difficultés à vaincre, certaine fascination à exercer, quelque talent à déployer. Et je ne me dissimule point mon insuffisance. En effet, comment faire accepter aux jeunes filles et aux garçons, c’est-à-dire à ceux qui chantent, des chansons qui parfois sont longues comme des complaintes ? Comment faire accepter à la jeunesse les peu harmonieuses onomatopées imitatives du vacarme de l’usine ou de la manufacture ? Comment faire accepter à la jeunesse des recueils d’où sont absents les gais refrains, les joyeux flonflons, la verve endiablée, la pointe égrillarde qui fait rougir un peu et rire beaucoup. La jeunesse aime les tambourins, les grelots, les fifres criards et mutins, et la mélodie de mes couplets n’est souvent qu’un bruit d’outils, qu’un bourdonnement de machines, musique qui n’enflamme point. La jeunesse aime les chansons courtes, comme celles de Panard, et les miennes ont souvent de 10 à 15 strophes. Il est vrai que le chanteur pourra faire son choix et ne chanter que les couplets qui lui plairont. Mais, prendra-t-il ce soin ? La jeunesse aime une Muse frivole et gouailleuse, et la Muse que je lui présente est un peu penseuse, un peu raisonneuse. C’est bien une fille du peuple, mais une fille du peuple qui veut plutôt éclairer qu’amuser. Elle est loin d’être prude, mais sa gaieté ne va jamais jusqu’à l’éclat de rire. Si elle lance un trait malicieux, ce trait n’a rien de blessant ; c’est quelque chose qui ressemble à un soupçon de la maligne bonhomie de… La Fontaine. En un mot, ma Muse est une Muse laborieuse. Le travail est sa vie. Mes chansons ont l’humble allure et la modeste physionomie des professions; elles en sont les enfants : celle-ci est née sur le métier du tisserand ; celle-là sur l’établi du menuisier ; quelques-unes sont venues au monde dans les champs; d’autres ont jailli de la barque du pêcheur ou du pressoir aux vapeurs enivrantes. Toutes sont des empreintes fidèles de chaque métier; toutes sont une série de tableaux, disposés au hasard, qui forment une sorte de galerie de la médaille agricole et industrielle.

Ces chansons qui ne glorifient que les travailleurs ; ces chansons qui les élèvent si haut, seront-elles chantées par les travailleurs ? Je l’ignore, et j’ose à peine l’espérer. Mais j’espère beaucoup qu’elles seront lues par eux. Elles seront lues par la grande famille prolétarienne que je fais figurer pour la première fois, dans le concert universel. Les spoliés, les déshérités, les hâves, les exténués, les voûtés, ceux qui attendent la réalisation d’un besoin, ceux qui subissent une injustice viendront peut-être chercher dans mes chansons la considération qu’on leur a déniée jusqu’à ce jour. Ils y apprendront à mieux s’apprécier; ils y verront que leurs œuvres sont, dans l’humanité, les plus grandes et les plus nécessaires ; ils y trouveront la bonne fée qui console ; ils y trouveront surtout l’espérance, fille du progrès, cette déesse des temps nouveaux, l’espérance qui calme les souffrances, relève les courages et donne des forces nouvelles pour marcher vers la terre promise.

Telles sont mes chansons. J’offre aujourd’hui le premier volume au public. Si ce premier volume a quelque succès, je m’empresserai de publier le second. Dans le cas contraire, je ferai des vœux pour que quelqu’un plus habile que moi se rende maître de la carrière que je n’ai fait qu’ouvrir ; je ferai des vœux pour qu’il en tire un ouvrage plus attrayant que le mien. Je me contenterai, moi, et je m’estimerai très heureux d’avoir posé la première pierre dans une œuvre que je crois de quelque- utilité à la classe ouvrière, pour laquelle j’ai une profonde sympathie.

 
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LES MOISSONNEURS

Air : La Boulangère aux écus.

RONDE

Aux champs vont filles et garçons,
Troupes laborieuses ;
C’est le jour béni des moissons.
Avec les Moissonneuses
Allons,
Avec les Moissonneuses.

Le soleil est beau, profitons
Des heures radieuses ;
Dans les blés mûrs, amis entrons
Avec les Moissonneuses,
Entrons,
Avec les Moissonneuses.

Près des amours en courts jupons,
Nus comme des danseuses,
Nous les beaux gars des environs,
Avec les Moissonneuses,
Fauchons,
Avec les Moissonneuses.

Les fronts inondés de rayons,
Sous nos faux travailleuses,
Rasons les blés sur les sillons ;
Avec les Moissonneuses,
Rasons,
Avec les Moissonneuses.

Les épis sont mouillés, couchons
Comme des paresseuses,
Les javelles que nous scions !
Avec les Moissonneuses,
Couchons,
Avec les Moissonneuses.

Sur le sol dépouillé, séchons
Grains et tiges pleureuses,
En dressant ces blés en meulons ;
Avec les Moissonneuses,
Dressons,
Avec les Moissonneuses.

En bouquets dorés, unissons
Nos herbes farineuses ;
Lions la gerbe aux cheveux blonds ;
Avec les Moissonneuses,
Lions,
Avec les Moissonneuses.

De nos gerbes d’or, emplissons
Nos charrettes nombreuses ;
Faisons monter les tas, chargeons,
Avec les Moissonneuses,
Chargeons,
Avec les Moissonneuses.

Ouvrons nos granges, engrangeons
Nos moissons précieuses ;
Pour les loger toutes, tassons
Avec les Moissonneuses,
Tassons,
Avec les Moissonneuses.

La grange est pleine, amis, fêtons,
Dans nos rondes joyeuses,
Cérès, déesse des moissons ;
Avec les Moissonneuses,
Fêtons,
Avec les Moissonneuses.

Célébrons la gerbe, chantons,
Point de voix paresseuses ;
Jeunes et vieux, sur tous les tons,
Avec les Moissonneuses,
Chantons,
Avec les Moissonneuses.

A pleins verres, amis, versons
A nos lèvres pâteuses,
Les meilleurs vins de nos cantons ;
Avec les Moissonneuses,
Versons,
Avec les Moissonneuses.

Cent brocs sont bus. Nous chancelons ;
Nos femmes sont… rêveuses ;
Les vins éteignent nos raisons.
Avec les Moissonneuses,
Dormons,
Avec les Moissonneuses.

 
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LES MÉCANICIENS

Air : Les Sapins. (P. DUPONT.)
(Le chanteur ne chantera que les couplets imprimés en italiques.)

On dit que Dieu fit l’homme à son image,
Amis, j’en doute, avec tous les savants ;
Car cet aïeul fut si longtemps sauvage,
Qu’on n’en pourra jamais compter les ans.
Mais si cet homme, en sa trop longue enfance,
Fut laid, grossier et pauvre comme un chien,
Il s’éleva, grâce à l’intelligence,
Qui de lui fit un Mécanicien !

REFRAIN
Prends, ô Progrès ! nouvel essor,
En mécanisme invente encor ;
Invente encore et multiplie
La Machine bénie,
Qui fera l’âge d’or !

Quand ce sauvage, hélas ! bête de somme !
Sentit vibrer au fond de son cerveau
De sa pensée éveillée un atome,
Il se dressa, leva son front plus haut.
Il inventa la hache en pierre dure,
C’était assez pour adoucir ses maux
Et le changer, au sein de la nature,
Lui l’ouvrier, en roi des animaux !

Prends, ô Progrès, etc.

Tenant sa hache au poing, ce vieil ancêtre
Tenait un sceptre et le plus précieux,
Car en la hache, amis, venait de naître
La Mécanique, outil prodigieux.
La hache à qui l’énorme chêne cède,
A révélé la force au monde ancien
Et fit trouver le levier d’Archimède,
Qui fit un dieu du Mécanicien.

Prends, ô Progrès, etc.

Pour suppléer à la faiblesse humaine,
L’ouvrier fit des esclaves de bois,
Qui mus par lui diminuaient sa peine,
En augmentant sa vigueur mille fois.
Le coin, lavis, la\masse, la poulie,
Ces serviteurs enfants de son cerveau,
Pour soulager sa fatigue inouïe,
Fendaient sa bûche et montaient son fardeau !

Prends, ô Progrès, etc.

La Mécanique, amis, fut grandissante ;
Le simple outil devint le composé.
L’ouvrier-roi, d’une main plus savante,
Put s’élever au problème posé.
Dans sa besogne haute, hardie et libre,
Il imita l’œuvre du Créateur,
En combinant les lois de l’équilibre,
Du mouvement et de la pesanteur.

Prends, ô Progrès, etc.

Glissière, roue, engrenage, bombelle,
Arbres ailés, vivifiant moteur,
Force constante et force parallèle,
Pour père ont eu l’ouvrier constructeur.
La Mécanique à l’énorme puissance,
Naquit aux mains des Mécaniciens,
Comme Minerve, une autre providence,
Est née au front du grand dieu des anciens !

Prends, ô Progrès, etc.

Depuis ce jour, l’ouvrier s’ingénie
Pour inventer de plus puissants ressorts.
Ayant créé la force, il la marie,
Puis il centuple, en elle, les efforts.
A la science enfantée aux cervelles
D’un d’Alembert, d’un Stevin, d’un Newton,
Il vient donner une forme et des ailes :
Du théorème il tire l’action !

Prends, ô Progrès, etc.

Avec du fer dont la vie est absente,
Ce travailleur qu’inspire le savant,
Fait le moteur à la force vivante,
Qui sous sa main devient intelligent.
Donnant une âme à la brute matière,
Et l’animant comme le Créateur,
Ô joie ! il fait la déesse ouvrière,
Qui jette à l’homme a foison du bonheur !

Prends, ô Progrès, etc.

Immense est l’œuvre et grande est la puissance
De mon héros le Mécanicien ;
L’eau, l’air, le feu, qu’il dilate ou condense,
Lui sont soumis. C’est un olympien,
En messager il change le tonnerre,
Qui sur un fil et sur son char de feu,
Porte l’idée et la paix sur la terre,
Au lieu d’aller tuer sous le ciel bleu !

Prends, ô Progrès, etc.

A la vapeur dont il fait sa captive,
Il fait presser de magiques pistons,
Qui donne vie à la locomotive ;
De cette fée il forge les poumons.
Il fait l’hélice aux quatre ailes puissantes,
Qui sur les mers font courir nos vaisseaux,
En défiant les sinistres tourmentes,
En se jouant et du gouffre et des flots !

Prends, ô Progrès, etc.

Comme un génie ayant sous sa main forte ’
Dix appareils, dix colosses, dix dieux
Qu’il a tirés de la matière morte,
Et dont il fait des serfs industrieux,
Il les commande, et mille mains ardentes,
Aux doigts de fer et d’acier et d’airain,
Cousent le cuir, font des trames savantes,
Tissent la laine et la soie et le lin.

Prends, ô Progrès, etc.

Il les commande, et soudain la Machine
A l’outillage habile et diligent,
Faisant craquer sa formidable échine,
Vient déployer son merveilleux talent.
Cet automate à gigantesque taille,
Muscles bandés, l’outil à chaque poing,
Toujours dispos, toujours debout, travaille
Avec cent bras, qui ne se lassent point.

Prends ô Progrès, etc.

Il les commande, et sur terre et sur l’onde,
Les hauts wagons, la flotte aux flancs de feu,
Sous son poignet font tous le tour du monde.
D’un peuple en marche, il est maître après Dieu ;
Du train qui roule il est le bon génie ;
Du vaisseau monstre il est le seul rameur.
Il tient en main d’une foule la vie ;
Il tient en main d’une flotte l’honneur !

Prends, ô Progrès, etc.

Jadis la femme, attelée à la meule,
Les seins meurtris, broyait seigle ou froment.
Mais, délivrance ! ô bonheur ! cette aïeule,
Se reposa, grâce au moulin à vent.
De même, un jour, ô peuple à maigre mine !
S’adoucira ta besogne d’enfer !
L’homme de cuivre et de bois, la Machine
Sûra, geindra, pour les hommes de chair !

Prends, ô Progrès, etc.

La Mécanique, ô pauvre prolétaire !
Qui, grande dame, a fait dis-tu, tes maux,
En devenant plus humble et populaire,
Fera, crois-moi, bientôt, tes jours plus beaux !
Quand le moteur qui, toujours ne travaille
Que pour l’élu, travaillera pour tous,
Tous, à leur tour, dans leur épargne-maille
Verront en or, se changer leurs gros sous !

Prends, ô Progrès, etc.

La Mécanique est une humanitaire,
Elle tûra, nous a dit de Vigny,
L’esprit du mal, la monstrueuse guerre,
Et parmi nous, son nom sera béni !
La Mécanique est le vivant emblème
Des libertés, écrit le grand Proudhon !
Elle unira nos enfants ! Bien suprême,
L’égalité naîtra dans son giron !

Prends, ô Progrès ! nouvel essor,
En mécanisme invente encor ;
Invente encore et multiplie
La Machine bénie,
Qui fera l’âge d’or !

 
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LES PAYSANS ÉMANCIPÉS PAR LA RÉPUBLIQUE

Air. Le Petit Mousse.

Jadis le Paysan, serf du noble et du prêtre,
De l’arbre qu’il plantait ne mangeait point les fruits.
Le champ qu’il fécondait appartenait au maître ;
Il produisait le vin, mais buvait l’eau des puits !
Grâce à la République, aujourd’hui, bien suprême !
Je suis maître du sol dont j’étais le glaneur.
C’est pour moi que je plante, et pour moi que je sème ;
Je bois du vin de messe et du vin de seigneur ! (bis)

Jadis les Paysans étaient vendus en foire,
Comme est vendu le porc ou le bêlant mouton ;
On leur mettait la corde au col, à la mâchoire,
Et sur eux s’abattait du marchand le bâton !
Grâce à la République, ô doux Paysan maigre,
On ne vend plus la chair, à vil prix, au passant ;
On ne te conduit plus au marché, comme un nègre,
Sous un fouet qui mordait ta face jusqu’au sang ! (bis)

Jadis les Paysans étaient sans sou ni maille :
Les deniers qu’ils gagnaient étaient pour les seigneurs !
Ils couchaient comme un chien sur la boue ou la paille,
Et le pain qu’ils mangeaient était le pain des pleurs !
La République, amis, nous a, dans sa puissance,
Relevés du fumier de Job le lépreux ;
Elle a mis dans nos mains une modeste aisance,
Plus d’un tiers d’entre nous trône avec les heureux ! (bis)

Quand nos pères mouraient, tous les fruits de leurs peines
Entraient comme héritage au coffre du seigneur !
Les fils des Paysans n’héritaient que des chaînes ;
Ils étaient condamnés à l’éternel labeur !
Grâce à la République, aujourd’hui, de nos pères,
Quand la mort les a pris, nous avons la moisson.
C’est leur bien qui nous fait des destins plus prospères,
Et fera, qu’à leur tour, nos fils prospèreront ! (bis)

Au vase virginal des nouvelles épouses
Noble et prêtre autrefois, buvaient avant l’époux !…
Ils laissaient la rinçure à nos âmes jalouses,
Et nous ne la buvions que quand ils étaient soûls !
Grâce à la République, aujourd’hui, l’épousée
Est bien la vierge blanche à la suave fleur
Qu’aucune main de noble ou de prêtre a froissée,
N’en déplaise au curé, n’en déplaise au seigneur ! (bis)

Jadis tes Paysans, ô sinistres misères !
Étaient pendus, brûlés, s’ils avaient, sous les cieux,
Ri de leur curé gris, ou de ses chambrières :
On les brûlait aussi s’ils étaient curieux !
Grâce à la République, aujourd’hui, s’il se grise,
Nous pouvons du curé rire quand il nous plaît ;
Nous pouvons plaisanter les galants de l’Église,
Sans craindre le bûcher, sans craindre le gibet ! (bis)

Jadis le Paysan, à la voix d’un vicaire,
Pour le pape ou Calvin, tour à. tour, se battait ;
Si ce prêtre disait : Mes dieux sont en colère,
Assassine pour eux !… Le Paysan tuait !
Grâce à la République, aujourd’hui, notre race
Pour l’Église en courroux n’égorge plus les siens ;
Des querelles d’autels elle rit, quoiqu’on fasse,
Et demande la paix au pape, pour tous biens ! (bis)

Jadis le Paysan n’adorait en prières
Que le Dieu de son roi, fut-il un dieu vaurien !
Il devait renoncer à celui de ses pères,
Si son maître disait : Celui-là ne vaut rien !
Grâce à la République, aujourd’hui, je suis maître
D’adorer ou la Vierge ou Vénus au beau sein ;
Code en main, s’il me plaît, je peux être mon prêtre;
Je peux être mon pape, étant le souverain ! (bis)

Jadis le Paysan, esclave du domaine,
De son seigneur et maître était le prisonnier ;
Il ne pouvait marcher sans tramer une chaîne ;
Il était enchaîné même dans son foyer !
Grâce à la République, aujourd’hui, de la terre
Dont j’étais le forçat, je suis devenu roi.
Je suis de ma commune ou l’adjoint ou le maire,
J’y peux vivre à mon gré, je suis maître chez moi ! (bis)

Jadis le Paysan qu’on appelait « ganache »,
Dans l’armée avait rang d’un cheval de collier ;
Bas soldat, sans espoir, toujours sous la cravache,
Il mourait en héros, mais jamais officier !
Grâce à la République, aujourd’hui, l’humble rustre,
Peut commander aux ducs, si ces ducs sont des sots ;
Il peut devenir même un général illustre,
Pendant que des marquis auront le sac au dos ! (bis)

Grâce à la République, ô travailleur des terres !
Grâce au droit d’électeur qu’en tes mains elle a mis,
Tous tes maîtres d’hier, les titrés, les vicaires,
Eux autrefois les loups, sont devenus brebis.
Grâce au suffrage immense à la voix large et forte,
Tout noble humblement vient boire au verre où tu bois ;
Pour être quelque chose il se courbe à ta porte,
Chapeau bas, il implore en toi le Roi des rois ! (bis)

Grâce à la République, ô Paysan, mon frère !
Tes droits égalent ceux d’un empereur romain !
Mais prends garde, on te guette, on te suit par derrière,
Les loups las"d’être agneaux rôdent sur ton chemin !
Ta gloire leur déplaît, s’ils font les bons apôtres.
C’est pour mieux te saisir quand tu t’endormiras !
Ils ont faim, eux les loups, nés pour croquer les autres ;
Après un si long jeune ils veulent des jours gras ! (bis)

 
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LE PEINTRE-VITRIER

Air : Le Chant des Ouvriers. (P. DUPONT.)

Lemierre, poète enchanteur,
Nous dit que l’astre de lumière
Est le père de la couleur.
C’est vrai, mais elle a plus d’un père.
L’autre est le Peintre en bâtiments
Qui sur marbre avec sa molette,
Mariant vingt tons différents,
En fait une riche palette !

REFRAIN

S’ils avaient appris le dessin,
S’ils avaient eu dix ans d’école,
Que de Peintres brassant la colle,
Peindraient comme Poussin,
Raphaël ou Jean de Fiésole .

Délayant dans le camion,
Dans l’eau d’essence parfumée,
Lait, chrome, oxyde et sels de plomb,
Blanc céruse et noir de fumée,
Le Peintre, comme le soleil,
Des atomes qu’il amalgame,
Fait le blanc, le bleu, le vermeil,
Et des couleurs toute la gamme !

S’ils avaient, etc.

Les Peintres, ces gais travailleurs,
D’un vêtement imperméable,
Fait de mastic et de couleurs,
Habillent nos maisons de sable !
Contre les injures de l’air
Et la rouille à dent acérée,
Ils protègent le bois, le fer,
Et leur donnent longue durée !

S’ils avaient, etc.

Quand sa brosse peint à grands coups
Grille, volets, porte, muraille,
Le Peintre parfois a les goûts
Du grand artiste qui le raille !
Si moins savant est son pinceau,
Que ceux d’un Rubens, d’un Pamphile,
Il n’est pas pour cela plus sot,
Et son travail est plus utile !

S’ils avaient, etc.

Menuisier, maçon, serrurier,
Mettez bas chapeaux ou casquettes,
Devant le Peintre-vitrier,
Qui sait réparer vos boulettes !
Il embellit tous vos travaux,
Qui, comme la noble figure
Du vieux temps qu’on vante aux châteaux,
Ne sont vraiment beaux qu’en peinture !

S’ils avaient, etc.

Si la haute inspiration
De l’œuvre du Peintre est absente,
Si peu savant est son crayon,
Sa main est fort intelligente.
Faisant naître l’illusion
Sous les outils qu’elle promène,
Dans les champs de la vision
Elle fait le marbre et le chêne !

S’ils avaient, etc.

Le Peintre d’enseigne-écriteau
Fait des lettres que l’on veut lire ;
Elles ont l’attrait d’un tableau,
Qui charme l’œil et qui l’attire.
Ces lettres qu’un caprice peint,
Pour devenir plus séduisantes,
Changent d’aspect, de plan, de teint,
Sous cent toilettes différentes !

S’ils avaient, etc.

Parfois l’humble badigeonneur,
Sentant un esprit qui l’anime,
Devient Peintre décorateur :
Des Beaux-Arts il gravit la cime.
Sa touche fine, en nos salons,
Fait jaillir la forme factice ;
Il fait des ciels à nos plafonds,
Qu’aurait signés Le Primatice !

S’ils avaient appris le dessin,
S’ils avaient eu dix ans d’école,
Que de Peintres brassant la colle,
Peindraient comme Poussin,
Raphaël ou Jean de Fiésole !

 
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LE LABOUREUR

Air : Le Noël d’Adam.

Le labourage est l’immense mamelle
De notre France, a dit un grand esprit.
C’est en effet de ce sein que ruisselle
L’ample moisson dont l’homme se nourrit.
Célébrons donc, amis, dans notre sphère,
De nos labours le rude travailleur !

CHŒUR
Gloire à celui qui féconde la terre !
Amis chantons, chantons le Laboureur ! (bis)

La terre en proie aux ronces, à l’ivraie,
Ne porte plus dans son flanc le bon grain ;
Ce flanc miné par une large plaie,
Se stérilise, et l’homme a toujours faim.
Le Laboureur, ô terre nourricière !
Va te guérir de ton cancer rongeur !

CHŒUR
Gloire à celui qui féconde la terre !
Amis chantons, chantons le Laboureur ! (bis)

Froids, épuisés, ici, nos champs en friche,
Laissent périr la semence en leur sein ;
La moisson maigre après la moisson riche,
Fera pleurer nos familles demain.
Soudain se lève à la ferme un pauvre hère,
Ô terre, il vient te rendre ta vigueur !

CHŒUR
Gloire à celui qui féconde la terre !
Amis chantons, chantons le Laboureur ! (bis)

Le Laboureur, humble dans son allure,
A sa charrue attelle, dans ses champs,
Ses deux grands bœufs à puissance encolure,
Puis il soumet à son joug ces géants ;
Tous trois ils vont réveiller la jachère,
Us vont tirer le sol de sa torpeur.

CHŒUR
Gloire à celui qui féconde la terre !
Amis chantons, chantons le Laboureur! (bis)

Sur le sol nu qu’a dépouillé l’automne,
Le Laboureur, dans un constant effort,
Guidant ses bœufs que son dard aiguillonne,
Creuse un sillon et des sillons encor ;
Il rajeunit l’éternelle poussière,
Il vient doubler les dons du Créateur !
CHŒUR

Gloire à celui qui féconde la terre !
Amis chantons, chantons le Laboureur ! (bis)

Là, dans la vigne, où l’énorme attelage
N’a pu passer, le laboureur ployé,
Avec son croc de fer mord le cépage ;
Le sol pierreux par sa houe est fouillé,
Grâce à ses soins, la vigne plus prospère,
Va se changer en ruisseaux de liqueur !

CHŒUR
Gloire à celui qui féconde la terre,
Amis chantons, chantons le Laboureur ! (bis)

Le Laboureur, dont le soc étincelle,
Rend la vigueur au vieux sol épuisé,
Il donne aux champs la jeunesse éternelle,
Et tout abonde où ses pieds ont passé.
L’humanité boit, grâce à ce pauvre hère,
Des vins plus fins et mange un pain meilleur !

CHŒUR
Gloire à celui qui féconde la terre !
Amis chantons, chantons le Laboureur ! (bis)

 
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LES FONDEURS

Air : Les Sapins. (P. DUPONT.)

original Gloire au Fondeur ! qui, dans la noire usine,
A pour soldats les flammes et les vents,
La grue, hercule à la puissante échine,
Et les fourneaux aux regards flamboyants !
Tous ces titans, ces feux, cette tempête,
Lui sont soumis, à lui, le plus petit ;
De cette troupe énorme il est la tête ;
Le formidable à sa voix obéit !

REFRAIN
Gloire au Fondeur robuste et fier,
Qui de ses fourneaux, un enfer,
Fait sous les éclairs des coulées,
Dans les terres moulées,
Naître un monde de fer !

Là, les Fondeurs, montant sur les fournaises,
Vont y plonger, en charbons, des forêts
D’aunes, de pins, de houille, de mélèzes,
Pour faire un lit de braise aux minerais.
Plus bas, ces noirs que la flamme calcine,
Lancent des vents en la tuyère, à flots ;
Ils font bondir les feux dans la poitrine
Des fours géants, des sveltes cubilots.

Gloire au Fondeur, etc.

Là, le mouleur, sur un savant modèle,
Qu’a façonné l’habile modeleur,
Fait en argile une image fidèle
De vos croquis, artiste créateur !
Ces trois Fondeurs que l’art inspire et guide,
Viennent former les moules merveilleux,
Où le métal, en courant dans le vide,
Devient canons, cloches ou demi-dieux !

Gloire au Fondeur, etc.

Dans ses fourneaux, le noir Fondeur marie
Cuivre, nickel, fer, platine, bismuth ;
Dans ses creusets, au sein de l’incendie,
Il anoblit le métal le plus brut.
Les reins tordus, couvert de vieilles toiles,
Perçant les fours où le brasier rugit,
Il fait jaillir des flots d’or pleins d’étoiles,
Dont chaque seau tour à tour se remplit.

Gloire au Fondeur, etc.

Portant cet or, les Fondeurs dans leur ronde,
Vont le verser aux moules créateurs,
Qui, fécondés, soudain mettent au monde
Les fils du rêve et des arts enchanteurs.
Dans l’atelier aux brûlantes poussières,
Tous ces Fondeurs, Deucalions nouveaux,
Font naître un peuple en le tirant des pierres,
Ils font Un monde, ô terre ! avec tes os !

Gloire au Fondeur etc.

Le Fondeur fait, besogne humanitaire !
Les lourds tuyaux, innombrables, sans fin,
Qui devenant les veines de la terre,
Portent partout un long ruisseau divin.
Ruisseau d’eau douce et de vive lumière,
Qui fait jaillir des seins de nos cités
Deux flots sacrés : l’un qui nous désaltère,
L’autre qui verse en nos nuits des clartés.

Gloire au Fondeur, etc.

Le noir Fondeur fait les saints que tu pries,
Ô toi qui vois tes dieux dans du métal !
Il fait revivre en fonte les génies,
Il donne un corps au rêve,’ à l’idéal !
Nous lui devons cet alphabet mobile,.
Qui tant de fois fait renaître un esprit;
C’est grâce à lui qu’un imprimeur fertile
Porte en tous lieux l’âme d’un manuscrit.

Gloire au Fondeur, etc.

Le noir Fondeur, ô besogne géante !
Asseoit des ponts de fer sur les torrents ;
Il fait et monte aux tours l’airain qui chante.
Il fait la foudre, ô soldats ! ô vaillants !
Qui vous protège et gagne vos couronnes ;
Il éternise, ô France ! tes exploits,
En élevant, en bronze, les colonnes,
Où les Français culbutent tous les rois !

Gloire au Fondeur, etc.

Puisque partout l’esprit du peuple monte,
Un jour, ô Prusse ! en frappant ton tyran,
Nous les Français, nous briserons la fonte
Dont ta main fit un Guillaume géant !
De ce César aux formes écrasantes
Nous ferons, nous, des marmites, des pots
Et l’humble poêle aux bouches bienfaisantes.
Qui chauffera de tes gueux les marmots !

Gloire au Fondeur, etc.

Ô Prusse ! avec tes foudres étouffées,
Que nous fondrons à ta face, demain,
Nous pétrirons, comme les bonnes fées,
Des instruments, des ouvriers d’airain ;
Nous pétrirons des machines puissantes,
Qui, bien de tous, pour tous travailleront,
Et qui feront, ô classes gémissantes !
Que les semeurs, enfin, récolteront !

Gloire au Fondeur robuste et fier,
Qui, de ses fourneaux, un enfer,
Fait sous les éclairs des coulées,
Dans les terres moulées,
Naître un monde de fer !

 
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LES CORDONNIERS

Air : Dis-moi, soldat, dis-moi, t’en souviens-tu ?

De Jehova l’acte paraît peu digne,
Quand devant Eve, il ne donna, dit-on,
Pour vêtement, qu’une feuille de vigne,
A l’homme, roi de la création.
Ce roi pieds nus, à Dieu dit, dans la fange :
« Vois, je m’enrhume en foulant mon bourbier,
Daigne envoyer, pour me guérir, un ange ! »
Cet ange vint, ce fut un Cordonnier.

Le Cordonnier depuis longtemps, sur terre,
De tous pieds nus est l’humble bienfaiteur ;
Il les habille, en couvrant leur misère
D’un cuir coquet et parfois séducteur.
Cet artisan est partout désirable ;
Car, parmi tous, nobles ou roturiers,
Pour être un homme à peu près respectable,
Jl faut avoir aux pieds de bons souliers !

Gais Cordonniers, exaltons notre race ;
Car, que d’esprits ont fait notre métier !
J’y vois Rousseau, le concurrent d’Horace.
J’y vois saint Roch, qui fut un savetier,
Le grand Linné dont l’œuvre est immortelle,
A sa rotule a mis le tirepied ;
Le pape Urbain a battu la semelle ;
Tous ces esprits ont cousu le soulier.

L’histoire dit que la piquante alêne
Fut le saint glaive, un jour, du Dieu chrétien ;
Il s’en arma pour terrasser la Haine,
Et délivrer le bon Grépinien !
Puisque ce fer, dans la sanglante arène,
A pu sauver un saint des meurtriers,
A genoux donc, chrétiens, devant l’alêne,
Qui fut sacrée et qui fait des souliers !

Jadis notre art avait quelques prestiges :
On l’honorait, en chapelle, aux saints lieux,
Pour avoir joint l’empeigne aux molles tiges,
Après l’effort habile et vigoureux.
Le fil poissé, glissant dans les coutures,
Savait alors solidement lier.
Les pieds étaient à l’aise en nos chaussures.
Le vrai chef-d’œuvre était clans un soulier.

Dans notre temps la Machine a pris place
Du vieux cousu, qui meurt d’être éclipsé ;
Coupant, battant, perçant les cuirs en masse,
Elle fait rois le cloué, le vissé.
Sous ces deux rois,«le travail, plus immense,
N’en est pas moins l’œuvre des Cordonniers ;
Leurs doigts changés en cornes d’abondance,
Font par milliers, Bottines et souliers !

France, en tous lieux, c’est ta Cordonnerie,
Qui par sa grâce et sa légèreté,
A tour à tour ravi chaque patrie ;
Elle éblouit comme une ’déité.
De Rio-Grande à Québec, aux Golcondes,
Les blancs, les noirs, en sont émerveillés.
Si les Français règnent sur les deux mondes,
Ah ! disons-le, c’est grâce à nos souliers !

Moi, Cordonnier, admirez ma puissance,
Je peux hausser un empereur encor ;
C’est moi qui fais cette magnificence,
Le haut cothurne en satin lacé d’or.
En façonnant cette rare chaussure,
Que Bonaparte, un jour, mit à ses pieds,
D’un roi nabot j’élève la stature ;
Il vient grandir dans mes royaux souliers.

Les souliers font des prodiges de fée,
Souvenons-nous de ceux de Cendrillon.
L’amant heureux, à la voix étouffée,
Tombe à genoux, près d’un soulier mignon !
Anacréon, front couronné de roses,
Qu’Amour avait à Glycère lié,
Disait à cette amante aux lèvres roses :
Ah ! laisse-moi devenir ton soulier !

Du pape-roi la mule vénérée,
Que par faveur, on baise au Vatican,
Sous mes outils prend sa forme sacrée ;
J’ai fait sa croix, qu’on aborde en tremblant.
Tous les mitres, les princes de l’Église,
Le front bien bas, et comme foudroyés,
De ma main rude adorent l’œuvre exquise ;
Tous ces prélats ont baisé mes souliers !

 
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LE PLAFONNEUR

Air : Jadis les rois, races proscrites. (La fille de Mme ANGOT.)

(Le chanteur ne chantera que les couplets imprimés en italique.)

Chantons la blanche destinée
Des Plafonneurs voués au blanc,
Qui tous les jours, toute l’année,
Ont la blancheur des nids d’enfant.
Ils doivent aux blanches carrières,
Aux fours, au gypse blanchissant,
Les fines et blanches poussières,
Dont ils feront leur blanc ciment.

REFRAIN
Ayant la toilette de vierge,
Blanc comme lys, blanc comme cierge,
Le Plafonneur travaille en blanc,
Gloire à cet ouvrier charmant !

Cheveux poudrés, moustaches blanches,
Le Plafonneur, le plâtre aux flancs,
Monte en blanc sur les blanches planches,
Qu’élèvent les hauts tréteaux blancs.
D’une main toute blanche et vive,
Ce Plafonneur aux blancs outils,
Cloue à la poutre, à la solive
Et les augets et les lattis.

Ayant la toilette, etc.

Chargé d’un sac de poudre blanche,
Le Plafonneur, vigoureux blanc,
Remonte sur la blanche planche,
Où va se montrer son talent.
Il est à l’œuvre et son front penche
Vers le gypse blanchi, versé
Dans l’auge blanche où l’eau s’épanche,
Pour lier le plâtre entassé.

Ayant la toilette, etc.

Là, dans cette auge à blanche bouche,
L’adroit Plafonneur change en lait,
Le plâtre qu’il gâche et qu’il couche
Sur les plats croisillons qu’il vêt.
Après la couche de gros plâtre
Et le gobetage neigeux,
Sa blanche règle unit l’albâtre,
Qui fait les plafonds merveilleux.

Ayant la toilette, etc.

Le Plafonneur gaîment couronne
De moulures toujours en blanc
Le portique à blanche colonne
Et les ciels blancs d’appartement.
De rosaces il les décore,
Il enrichit leurs blancs manteaux,
Qui, quand le plâtre s’évapore.
Ont l’air d’un marbre de Paros !

Ayant la toilette, etc.

Le Plafonneur dressant l’échine
Sur l’échafaudage géant,
A pleines mains jette l’hermine
Au ciel du dôme éblouissant.
Sous la coupole ensoleillée,
Aux temples offrant sa blancheur,
Il met un voile de mariée
Au front des maisons du Seigneur !

Ayant la toilette, etc.

Princes, qui battez la campagne.
Dans vos combats du blanc, du bleu,
Rendez-vous tous, ô Blancs d’Espagne !
Rendez-vous aussi, vous, Blancs d’Eu !
Rendez-vous aux Gâcheurs de plâtre,
Qui sont plus blancs que vous, messieurs,
Car tous les jours les lys d’albâtre
Fleurissent à foison sur eux !

Ayant la toilette, etc.

Tous ces princes, j’en ris d’avance,
De leur cocarde ont la pâleur.
Les uns ont le blanc d’abstinence,
D’autres ont le blanc du coiffeur,
D’autres le blanc de mascarade,
Qu’avait Pierrot, ce blanc farceur !
Votre blancheur, Blancs de parade,
Vaut moins qu’un blanc de Plafonneur !

Ayant la toilette, etc.

Ayant la blancheur qui travaille,
Le Plafonneur, homme de bien,
Est le vainqueur dans ma bataille,
Les princes ne sont bons à rien.
Votre lys blanc « qui point ne file »
Est un mauvais blanc, messeigneurs.
Fi ! de tout ce blanc inutile.
Et gloire au blanc des Plafonneurs !

Ayant la toilette de vierge.
Blanc comme lys, blanc comme cierge,
Le Plafonneur travaille en blanc,
Gloire à cet ouvrier charmant.

 
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LE TISSEUR

Air: Le marchand de chansons (par BÉRARD).

(Le chanteur ne chantera que les couplets imprimés en italiques.)

Moi, le Tisseur, quand je tourne les yeux
Vers ton enfance, histoire du tissage,
Je me sens fier d’être de ton lignage ;
Je me sens fier car mon art vient des dieux !
C’est Arachné, la déesse puissante,
Qui la première a brillé dans cet art.
Je fais comme elle une trame savante.
Le manteau d’or et le riche étendard.
Je suis son maître au métier de Jacquard.

REFRAIN
Riches et gueux,
Vous que les dieux
Ont jetés tout nus dans la vie,
Saluez ! je suis le génie,
Qui, sous la pluie, ou la neige, ou les vents,
Couvre en tous lieux vos membres grelottants.
J’apporte à tous des vêtements !

Dans la fabrique aux vastes ateliers,
Dont le flanc porte \me chaudière immense,
Ou bout le sang, qui fait battre en cadence
Les pieds les mains de quinze cents métiers,
Moi le Tisseur, an lever de l’aurore,
Je viens, j’accours dans les bourdonnements
Du noir moteur, qui parfois me dévore,
Je viens tisser sous ses griffes, ses dents,
Les chauds, les frais et les doux vêtements !

Riches et gueux, etc.

Tous les moteurs animent les métiers,
En transmettant et la force et la vie
A l’engrenage, à l’arbre, à la poulie,
Dont, moi Tisseur, je fais mes ouvriers.
Ces trois agents, chargés du gros ouvrage,
Font travailler, à leur tour, les battants,
Les deux rouleaux d’ensouple, de tirage,
Et le harnais, ces quatre Tisserands,
Qui sous ma main, deviennent diligents !

Riches et gueux, etc.

A l’unisson marchent ces Tisserands.
L’un, prend les fils en broche et les dévide ;
L’autre, les pousse aux dents d’un rateau-guide,
Puis les étale en spires, en rubans ;
L’autre, à son tour, pour les parer les mène,
Brins séparés, aux rapides rouleaux,
Qui, les gommant, font ensuite la chaîne,
Ce tissu clair et ces premières peaux,
D’un embryon né de mille écheveaux !

Riches et gueux, etc.

De mes métiers tous les bras sont tendus.
Là, le battant, sous l’arbre qui l’entraîne,
Serre les fils de trame dans la chaîne.
Ici, l’ensouple enroule les tissus.
Ici sont mus en rond les excentriques,
Dont les efforts font descendre et hausser
Du long harnais, les lames fantastiques,
Afin d’ouvrir en la nappe à tisser
Passage aux fils qui vont l’entrelacer.

Riches et gueux, etc.

De mes métiers, l’organe merveilleux,
C’est la navette, une ouvrière ailée,
Qui dans sa course et dans son envolée,
Sait marier les fils parés entre eux.
Allant, venant, légère comme une âme,
Et prompte autant que peut l’être un regard,
Elle entre-croise et la chaîne et la trame.
En travaillant sur tous ces fils, son char,
Elle apparaît en déesse de l’art.

Riches et gueux, etc.

Certes, c’est beau de voir l’éclosion
D’un tissu simple ou d’une étoffe unie,
Mais, ma pensée est cent fois plus ravie,
Quand de Jacquard je vois l’invention !
Cet ouvrier dont l’œuvre d’or s’étale
En fins tissus, en dessins gracieux,
A su trouver la magique pédale,
Cherchée en vain par les savants fameux :
Il fit avec un fil tendu des nœuds !

Riches et gueux, etc.

Grâce à Jacquard, les fils blancs, rouges, bleus,
Se soulevant, plongeant dans la logette,’
Où chacun d’eux suit l’aiguille fluette,
Façonnent seuls des tissus merveilleux.
Ces fils de trame aux couleurs différentes,
En variant les contours et les tons,
Font dans leurs jeux, dans leurs courses savantes,
Dans leur descente ou leurs ascensions,
Naître des fleurs, des amours, des rayons !

Riches et gueux, etc.

Tous mes métiers aux millions de mains,
De leurs rouleaux d’ensouple, usines tournantes,
Font ruisseler en nappes abondantes •
Soie, et cotons, laines, toiles et lins.
Le cachemire et l’étoffe éclatante,
Tissus frisés, ondulés, à dessin,
Velours, tapis, draps, gaze transparente,
Ô mes métiers ! de votre large sein,
Coulent toujours comme un ruban sans fin !

Riches et gueux, etc.

Vous qui dormez quand dorment les soleils,
Sans feu ni toit, là, sous la froide étoile,
Venez soldats ! pour vous j’ai fait la toile,
Qui comme une aile, abrite vos sommeils !
Venez aussi, vous, paysans mes frères,
Qu’on vêt de drap d’hospice ou de prison,
Pour remplacer vos étoffes grossières,
J’ai pour vous tous une belle toison,
Des draps lustrés et le soyeux frison !

Riches et gueux, etc.

Venez à moi, filles d’Eve, mes sœurs,
Que l’on appelle ou baronne ou marquise,
J’ai pour vos seins, globes de neige exquise,
Des nids de soie où voleront les cœurs !
Communiante, ange aux yeux pleins d’extase,
Venez, pour vous, j’ai le fin voile blanc !
J’ai la guipure et les ailes de gaze,
Le beau tissu, léger et transparent,
Pour vous, amours, que le grand bal attend !

Riches et gueux, etc.

Jeune amoureux, qui jouez au Satan,
Venez, pour vous, j’ai de la serpentine !
Vieil élégant, pour vous, j’ai la ratine.
Bonapartiste, achetez mon Sedan !
Reines et rois, si l’on vous garde encore,
C’est grâce à moi, mon art est bon enfant.
J’ai façonné le tissu qui vous dore ;
J’ai façonné votre manteau traînant,
Qui fait courber tout un peuple ignorant !

Riches et gueux, etc.

Princes d’église, évêques, cardinaux,
Venez, j’ai fait vos robes de dentelles,
Vos mitres d’or, vos riches soutanelles,
Et les soleils, qui constellent vos dos !
Sous votre pourpre une richesse immense,
Prélats, qu’aurait fouettés le gueux Jésus,
Souvenez-vous que si l’on vous encense,
C’est grâce à moi, c’est grâce aux fins tissus,
Que j’ai jetés sur vos vieux membres nus !

Riches et gueux, etc.

Dans vos palais, vos fêtes, vos splendeurs,
N’oubliez pas, belles fascinatrices,
Combien de gens peinent pour vos caprices,
Combien sont morts pour vous parer de fleurs !
Sous l’ample faille et sous la mousseline,
Sous la parure aux suaves couleurs
Souvenez-vous, quand vers vous tout s’incline,
Que mes tissus, pour vos adorateurs,
Autant que vous sont des fascinateurs !

Riches et gueux, etc.

Dans vos fiertés que donnent vives satins,
Savez-vous bien, ô superbe marquise !
Que fort souvent elles sont sans chemise,
Celles qui font vos vêtements divins !
Vous que le sort a fait naître coiffée,
Convenez-en, les sorts sont des nigauds,
Celle qui tisse avec ses doigts de fée
Les chapes d’or et des rois les manteaux,
N’a qu’un haillon à mettre sur son dos !

Riches et gueux, etc.

Nous les Tisseurs, ardents à prodiguer,
Dans la fabrique, aux heureux de la terre,
L’étoffe chaude et l’étoffe légère,
Quand donc pour nous saurons-nous travailler ?
Biche quand donc, vous que l’étoffe inonde,
Cessant de vous noyer sous nos tissus,
Nous direz-vous: Puisqu’à moi tout abonde,
Tissez, Tisseurs, tissez, vous mal vêtus,
Moins pour moi riche, et pour vous un peu plus !

Riches et gueux, etc.

Moi, le Tisseur, je suis fier de mon art,
Car il m’élève, ô France ! en ton histoire.
J’ai façonné le guide de ta gloire,
J’ai façonné ton magique étendard !
Je l’ai tissé d’une main forte et frère
Avec du fil d’un vieux drapeau d’or fin,
Qui de la Prusse a fouetté la poussière !
Et qui toujours glorieux en chemin,
Veut de nouveau retourner à Berlin !

REFRAIN
Riches et gueux,
Vous que les dieux
Ont jetés tout nus dans la vie,
Saluez ! je suis le génie,
Qui, sous la pluie, ou la neige, ou les vents,
Couvre en tout lieu vos membres grelottants.
J’apporte à tous des vêtements !

 
 
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