Les Médailles du grand-père
Victor Bonhommet (1900)

Il est pour moi l’aïeul, un beau groupe vivant,
Que ma vieillesse blanche aime à voir et souvent
Ce groupe c’est l’essaim des enfants de ma fille,
Quand près de leur papa, quand près de leur maman,
Ils sont tous réunis autour d’un plat fumant,
De la table de la famille.

J’aime dans ces enfants — fauvettes et pinsons —
Leur grâce, leur candeur, leurs ébats, leurs chansons,
Leurs charmes apaisants et leurs douces haleines ;
L’aime à les voir heureux dans leur jeune matin,
Joie au front, rire aux dents, eux qui seront demain,
La fleur des aurores prochaines.

Et le les suis des yeux ; je les peins dans mon cœur
Avec un pinceau tendre et peut-être flatteur,
Comme sait toujours peindre un bienveillant ancêtre ;
Puis, je suis enchanté, tant leurs traits me sont doux,
De vanter, d’exhiber leurs portraits devant vous,
Qui, je crois, voulez les connaître.

Je vous l’ai dit, ils sont devant la table assis,
Nez ouvert, ventre creux. Comptons-les. Ils sont six :
Deux garçons remuants entre quatre fillettes.
Tous sont silencieux, ayant grand appétit.
Voyons-les tour à tour, allons jusqu’au petit,
Montrons leurs fraîches silhouettes.

Commençons par l’aîné.

12 ans
Tête fine et fier caractère,
Comme on en voit dans les hauts rangs.
Lèvre ironique et volontaire,
Mais les regards bien nets, bien francs.
Langue simple et sans artifice,
Mais une parole de roi,
Sûre, ferme et digne de foi ;
Esprit impérieux, mais droit.
C’est là le portait de Maurice.

11 ans
Calme, réfléchie et posée ;
Esprit voilé, timide et bon ;
Langue sans faste, mais sensée ;
Sourire frais et cœur profond ;
Douce comme la colombelle ;
La bouche en fleur et d’où les mots
Rares ne sortent qu’à propos ;
Yeux noirs, insouciants mais beaux.
C’est le portait de Gabrielle.

9 ans
D’une attitude fugitive
Visage ouvert, réjouissant ;
Humeur bienveillante expansive ;
Regard familier caressant ;
Petit cœur tendre âme câline,
Beaux tous deux de vivacité ;
Un ensemble d’amabilité
Qu’orne une opulente gaîté.
C’est le portait de Valentine.

6 ans
Espiègle, charmante d’audace
Et de puissante volonté,
Qui dans les jeux veut large place
Pour sa petite majesté.
Prompte à trouver une malice ;
Visage pâlot, expressif ;
Flamme aux yeux sous son front pensif ;
Esprit rusé, fin, souple et vif.
C’est bien là le portait d’Alice.

3 ans
Mine éveillée, âme mignonne ;
Sensible et prompte à s’offenser ;
Qui sous le reproche frissonne,
Mais qu’apaise vite un baiser.
Charmante de délicatesse.
Front de cheveux d’or couronné ;
Visage fait pour la caresse,
D’une attirante joliesse,
Et qui dénote la finesse.
Voilà le portait de Renée.

18 mois
Bouche qui rit souvent sans causes,
Jambes qui font leurs premiers pas !
Bras dodus et petits poings roses
Gazouillis qu’on ne comprend pas !
Fleur humaine en bouton encore,
Qui s’ouvrira noir ou doré.
Être mignonnet qui s’ignore !
Et qui rassemble en son aurore,
À tous les anges qu’on adore.
Voilà bien le portait d’André.

Dois-je borner enfin, ici, cette lignée,
Non ! Je dois ajouter la mère au jeune front,
Qui de tous ses enfants semble la sœur aînée,
Son portrait, entre tous, a place dans le rond.

Admirez tout d’abord ses vertus maternelles,
Qui sont pour ses babys deux réchauffantes ailes,
Et la font, ici-bas, l’Esprit de bons secours.
Voyez son cœur sans tache et sa belle âme large
Sourire, quoique lasse, en ployant sous la charge
De ses six chérubins, beaux fardeaux, mais bien lourds !

Voyez-la se répandre en tendresse infinie,
Quintupler son labeur, multiplier l’effort,
Pour faire à ses petits une route fleurie.

Cette mère à la tâche âpre et jamais finie,
En sa mission sainte à d’autres penser d’or,
Car comme la Romaine au front pur Cornélie,
Elle est prête à répondre à celle qui lui crie :
« Contemple mes bijoux ! Applaudis à mon sort ! »
— Femme, tes diamants ne me font point envie,
Ils seraient, quoique exquis peu de choses en ma vie ;
Mon riche écrin à moi, ma belle orfévrerie,
Ce sont mes chers enfants, c’est le plus beau trésor !


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